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Jamel Debbouze: «J’ai 250.000 francs français d’amendes… que je ne paierai pas !»

© D.R

Interview de Jamel Debbouze, humoriste, acteur et producteur franco-marocain

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En marge de la présentation du film «La Vache», très bien accueilli par le public marocain, ALM a été à la rencontre de Jamel Debbouze. Ce comédien et humoriste qu’on ne présente plus, incarne le rôle de Hassan. Un personnage que lui-même décrit de «lâche, menteur et tricheur». Dans cette interview, Jamel Debbouze nous parle de son film mais également de sa mère, de sa belle-famille, de sa jeunesse et de la grande question qu’est celle de l’identité.
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ALM : Est-ce que c’était évident pour vous dans ce film de se mettre à l’ombre, en second rôle ?

Jamel Debbouze: Évidemment. Pour tout vous dire, je ne me suis jamais posé la question. Je l’ai souvent fait et, d’ailleurs, j’ai rarement campé un premier rôle. Je l’ai été sur le dernier film d’animation («Pourquoi j’ai pas mangé mon père», ndlr) mais sinon j’ai souvent été second rôle. Pour «Né quelque part» j’étais même quatrième rôle (rires). Pour la marche aussi. Sur «Hors la loi» j’ai partagé l’affiche avec  Roschdy Zem, Sami Bouajila. Il en est de même pour «Indigènes», «Amélie Poulain» et «Astérix et Obélix».

Le personnage de Fattah, votre beau-frère dans « La Vache » ne peut-il pas sembler surréaliste de par sa candeur excessive ?

Fatsah Bouyahmed est exceptionnel. On voulait montrer au monde ce qu’il vaut à travers ce film. Cet acteur a tellement de talent. Maintenant, son personnage (Fattah, ndlr) peut paraître caricatural mais laissez-moi vous dire que, ma mère est comme ça. Il en existe d’autres qui lui ressemblent. Heureusement. Ce film est la promotion de la gentillesse. Celle qu’on galvaude et qu’on prend mal. A Paris, le pessimisme est une posture qui donne l’air intelligent. Dès que tu te lâches, tu veux sympathiser, tu es joyeux et spontané tu es pris pour un «débile». J’imagine que c’est devenu le cas ici également puisque le Maroc fait désormais partie des sociétés modernes. On a de plus en plus de mal avec la gentillesse et la naïveté. On a l’impression qu’elles cachent quelque chose. C’est une déformation qu’on a subie.

Fattah ressemblerait dans sa candeur à votre mère alors ?

Vous savez, il y a eu des cambriolages dans le quartier où habite ma mère. Quelques jours avant, des gens sont venus la voir. Je suppose que c’était pour un repérage. Ces personnes font semblant de vendre des produits. Ma mère les a invitées à entrer, leur a offert du thé et leur a donné à manger. Elle est la seule qui, par la suite, ne s’était pas fait cambrioler dans tout le quartier. C’est pour dire que les personnes animées par les plus mauvaises intentions se questionnent forcément face à la candeur et la gentillesse. C’est désarmant. Ce n’est pas un prétexte et je défie quiconque de venir me dire le contraire.

Nos sociétés ont-elles vraiment besoin de ce genre de films ?

On en a toujours besoin. Ce qui se passe maintenant n’est pas nouveau. On n’a rien inventé. C’est quelque chose qui se répète et on est en train de faire ce qu’a fait Saladin il y a mille ans. Il était en Syrie, c’était la guerre des religions et ça l’est toujours aujourd’hui. Aujourd’hui malheureusement, les gens pensent que si tu es différent d’eux il va falloir mettre une barrière parce qu’ils tolèrent pas que tu manges dans leur assiette. Je ne comprendrais jamais ce concept.

Que faites-vous quand ça va mal ?

Quand je suis angoissé et stressé, alors que je passe mon temps à rire et à faire rire, je n’irai pas voir un psychologue parce que ce n’est pas dans ma culture. Je ne parlerai pas à des gens que je ne connais pas, alors que ça pourrait me guérir. J’ai trop de secrets pour le faire. Ceci dit, il y a des fois où je me demande pourquoi ça va mal sans jamais comprendre. La vérité c’est que tout ce qui vient de l’extérieur nous empoisonne l’existence. Cette pollution dans tous les sens et qui va jusqu’aux images avec lesquelles on nous bombarde. Vous savez, les images ont un effet pervers sur nous sans même qu’on s’en rende compte. Bizarrement, j’ai parfois le sentiment que ça nous monte les uns contre les autres en véhiculant subtilement cette idée de l’étranger, du mauvais, du différent qui vous vous veut tout sauf du bien. Pour vous répondre finalement, quand je vais mal, je vais sur Internet et je vois le journal de la date d’aujourd’hui mais, d’il y a quinze années passées. Là je me dis : «Hamdoullah c’était pire avant» (rires).

Vous avez été surprenant dans votre rôle dans «La Vache»,  en incarnant un personnage assez antipathique…
Alors, autant vous le dire tout de suite, j’ai adoré le personnage de Hassan. Il est lâche, tricheur et menteur. Je lance d’ailleurs un appel à tous les metteurs en scène, si vous avez des rôles de méchant, je suis preneur.

Votre personnage, Hassan, a épousé une étrangère sans l’assumer. Beaucoup vivent ce cas de figure en France ou ailleurs…
Bon nombre de gens que je connais sont dans cette même situation. Ils s’enferment dans un mensonge, ils vivent mal et ils redoutent la réaction de leurs familles. Epouser une étrangère est parfois même assimilé à un dénigrement de sa culture d’origine. Dans le film, nous abordons cette question de façon subtile et rapide mais c’est un vrai sujet profond qui mérite réflexion.

Justement, cette question identitaire pèse-t-elle lourd ?
On nous a déracinés et déraciné nos parents avant nous. On leur a demandé de faire des sacrifices que je ne pense pas être capable de faire. Tu arrives dans un pays qui n’est pas le tien, la langue n’est pas tienne /… et la culture non plus. Tout t’est étranger. Tu vois ton père hagard sans savoir d’où vient ce poids, pourquoi est-il triste ? Ta mère, elle, fait exprès d’être joyeuse…

Il faut dire tout de même qu’il était plus difficile pour les femmes que pour les hommes de se trouver une place dans ce nouveau monde à l’époque…
Pas qu’à l’époque. Honnêtement, je n’aimerais pas être une femme. Je respecte la femme énormément et je la mets au panthéon des êtres parce que j’ai vu ce qu’endure ma mère et ce qu’ont enduré ma tante, ma grand-mère et autres… Je ne ferai pas ce qu’elles font. C’est de l’abnégation, de l’acharnement et de l’amour en abondance. C’est en plus une vision pour les enfants et la famille. La mère représente tout. C’est la maison, la banque, le frigo, la source d’amour et de la conciliation, etc. Ce n’est pas évident d’être tout cela à la fois.  Tout ça pour dire que nos parents, nos mères ont l’occurrence, ont vraiment eu la vie dure.

L’Europe n’est pas et n’était pas l’eldorado promis alors ?

Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas. Mes oncles qui étaient restés à l’époque au Maroc  ont mieux vécu.  Ils ne se sont d’abord pas sentis rejetés et puis ils n’ont pas subi ce sentiment d’humiliation qui était juste dû à la peur des Français. On a peur de l’étranger. Une fois qu’ils font connaissance, la magie opère. Je peux vous le garantir de par mon expérience. J’ai épousé une Française et ma belle-famille m’adore. Et ce n’est nullement parce que je suis Jamel Debbouze. Croyez-moi, au début ce n’était pas gagné (rires),d’un côté comme de l’autre. J’ai pris des initiatives pour forcer les deux familles à se parler et à se respecter. Il faut parfois bousculer. C’est ce que j’ai choisi de faire. Je n’ai pas choisi ma situation, je suis né en France et j’y ai grandi. On ne peut pas me demander de choisir entre la France et le Maroc où d’ailleurs j’ai passé trois années dans un bidonville à Taza qui s’appelle l’ «Batoine». Tous les ans j’y revenais jusqu’à mes 16 ans. Je reviens au Maroc jusqu’à deux, trois mois par an. On ne peut pas se départir d’un pays comme d’un autre.
Au moment où nos parents sont restés farouchement attachés à leur culture, nous avons fait de même tout en épousant une autre. Etre tiraillé entre ces deux cultures est dur à vivre. Si aujourd’hui je fais un film comme La Vache c’est pour, justement, rapprocher les deux rives. Si je pouvais construire un pont entre toutes ces cultures, je le ferais.

Pensez-vous que la France adopte cette diversité également ?

On a fait le boulot. A la télévision comme aux ministères. Je dis ça mais en même temps l’école reste fermée sauf pour l’élite marocaine. Cette élite peut parvenir à celle française et encore là aussi, pour moi c’est de la façade. Les écoles ne sont pas assez ouvertes, on ne nous laisse pas suffisamment faire partie de l’élite. C’est très bizarre de dire ça en voyant quatre ministres françaises d’origine marocaine trouvant leur chemin mais les grandes formations ne sont pas facilement accessibles. C’est bien évidemment une question de savoir et de compétences mais également de chances que le pays t’offre. Vous ne pouvez pas imaginer l’effort qu’un étudiant, aussi excellent soit-il, doit fournir pour venir du périphérique jusqu’au centre de Paris. Encore faut-il qu’il en ait les moyens. J’habitais à 45 km de Paris. Ce qui me coûtait 54 francs (à l’époque) pour un aller-retour. En plus du métro, du sandwich…nous sommes déjà à 100 francs que je n’avais pas. Aujourd’hui, j’ai 250.000 francs d’amendes à mon actif, que je ne paierai jamais d’ailleurs (rires). Mais si je n’avais pas fait cela, je n’aurais jamais fait la carrière que j’ai.

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