Culture

Jebbour, le sympathique

© D.R

En rencontrant Abdelkader Lotfi, on se dit que le comédien n’est finalement pas si éloigné de son personnage ( Jebbour au sitcom Lalla Fatima) devenu très populaire . Mieux, être acteur ne semble pas relever pour lui d’une posture mais bien d’une nécessité. Aucune trace de désinvolture dans ses envies, ses gestes ou ses paroles, mais la foi secrète, humble, presque invisible en un métier d’amuseur envisagé avec sérieux. Déjà à sa naissance, son nom de famille sera remplacé par erreur du bureau de l’état civil. Rares en effet sont ceux qui savent que le vrai nom de Jebbour est Abdelkader Amara et non Lotfi. Non seulement son nom fut changé, mais en plus on lui a ajouté six années à son âge. C’était à Essaouira, sa ville natale, il y a plus de cinquante six ans. « Il n’y a pas que cela, dans le même livre d’état civil, on a mis un faux nom à ma mère dans la page où figure ma naissance. Alors que sur la page de naissance de mon propre frère elle s’appelle Aïcha bent Abdelkrim, sur la mienne ils ont mis Aïcha bent Abdelkader. Et ça n’arrive qu’ à moi », dit il avec la spontanéité que l’on lui connaît. Depuis, ils n’a jamais cherché à corriger cette erreur en préférant garder ce faux nom plutôt que de traîner dans les différentes administrations et autres tribunaux. Au tout début des années 1960, Lotfi intégra le conservatoire avec comme professeurs de grandes pointures du théâtre marocain. Son professeur en matière d’interprétation n’étatit autre que le célèbre Taieb Laâlej et en technique théâtrale comme aux techniques de maquillage, Taieb Seddiki. Après le conservatoire, il rejoignit le groupe « Al Oukhoua Lârabia » de l’acteur Abdeladim Chennaoui où il allait côtoyer plusieurs comédiens comme Touria Jebrane, Abdellatif Hilal, Salah-eddine Benmoussa et bien d’autres. Parallèlement à cette époque, Lotfi et ses amis ont formé leur propre groupe appelé «Les élèves du conservatoire municipal ». Quelque temps après, une autre troupe verra le jour sous l’appelation de «Masrah Tajriba» composée exclusivement des lauréats du conservatoire, comme Khadija Assad, Mohamed Miftah, Aziz Saâd Allah et plusieurs autres acteurs qui constituent la base de la comédie nationale de nos jours. Autre chose que peu de gens savent sur M.Lotfi, c’est qu’il était éducateur et responsable administratif du lycée privé Al Azhar à Casablanca. Bien avant de fonder sa propre famille, il était en charge de ses frères et de ce fait il avait fichtrement besoin de travailler dur. Malgré ces responsabilités, Abdelkader ne s’est jamais absenté de la scène. En plus du théâtre, il est toujours présent à l’écran à travers plusieurs feuilletons et téléfilms. Lorsque le cinéma national commence à émerger, il était là. Son premier film est « La compromission » avec le réalisateur Latif Lahlou. Et depuis, il a participé avec brio dans plus de vingt films marocains travaillant avec différents metteurs en scène comme Hassan Moufti, Mustapha El Khayat, Hakim Nouri, Jilali Farhati, Ahmed Boulane, Saâd Chraïbi, Jamal Belmejdoub, Nabil Ayouch pour ne citer que ceux-ci. Cependant, il est difficile de cerner le garçon au terme d’un entretien d’une heure et demie. A la question de savoir qui est vraiment Abdelkader Lotfi, on répondra : une aisance, de riches silences, un visage changeant, une acuité du regard, une inquiétude souvent désamorcée par des sourires, un mystère… Mais au-delà du contexte cinématographique dans lequel il évolue, il possède un réel talent de comédien qui est indiscutable. Les personnages qu’il incarne s’affirment. Et ce sont des impressions qui émanent de réalisateurs étrangers car Lotfi a joué des rôles importants dans des dizaines de films étrangers. A titre d’exemple, le film intitulé « L’Algérie des chimères » qui vient d’être rediffusé sur TV 5 où il a incarné le rôle de Bensoussan, chef de la communauté juive dans l’Algérie française du 19ème siècle. Le réalisateur François Luciani n’a pas caché son admiration du talent dont a fait preuve l’acteur marocain. Sa double vie entre l’enseignement et le cinéma n’a pas échappé à des contre-temps. Actuellement, son rôle d’éducateur reprenant le dessus, il considère que ce qu’il voit comme émissions consacrées aux enfants sont loin de répondre aux exigences des nouvelles générations. Il est sur un projet d’émission adressée aux enfants pour combler un peu ce vide. Une sorte de petite opérette qu’il compte proposer à la télévision nationale. Lotfi prépare également un ouvrage psycho-pédagogique pour les enfants de huit à quatorze ans. Quant à son public, il le retrouvera très bientôt sur la RTM dans un nouveau téléfilm intitulé «Jabaroute» sous la houlette de la réalisatrice Layla Triki . Une histoire qui relate l’époque de Siba qui sévissait dans notre passé. L’acteur continue ainsi de bosser dur sans pour autant se plaindre de la situation précaire de l’artiste en général. Il faut savoir aussi rester humble, s’effacer, tout en apportant le meilleur de soi-même, et c’est là tout le secret de Lotfi.

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