Culture

Jeune fille cherche prince charmant désespérément

© D.R

Une mer agitée lance ses vagues sur de gros rochers alignés tout au long d’un cimetière. Ici, derrière les Oudayas, le ciel et la mer d’un bleu profond se croisent à l’horizon. Personne n’est insensible à sa beauté et certains y trouvent un remède à leurs chagrins. Comme s’il s’agissait d’un appel de la nature, ils arpentent la petite corniche, près d’un restaurant de fruits de mer, pour se rapprocher un peu plus des vagues. D’autres s’assoient sur les rochers pour méditer, pleurer ou encore pour rencontrer, dans cet endroit romantique, l’amour de leur vie. Mais pour plusieurs, ce paysage reste avant tout l’adresse du saint patron Sidi Abdellah El Yabouri. C’est à l’extrémité droite de la falaise, tout en bas de ce vaste cimetière que ce marabout a élu domicile. Une petite bâtisse blanchie à la chaux et au-dessus de laquelle se dresse une coupole de couleur verte qui accueille le tombeau du saint homme. Ce mercredi est le jour de «ziyara» (visite). Des Gnaouas munis de leurs tambours sont assis à quelques mètres. Ils sont là pour la «Baraka» du «sayed» tout comme ces femmes «cherifate» qui se sont installées un peu partout tout au long du parcours menant vers le marabout. Henné, bougies, citrons, dattes, bouteilles remplies d’eau de fleur d’oranger, brosses à cheveux… Près de la porte, une table garnie de ces « offrandes » sert de véritable épicerie pour les fidèles venues soumettre leur demande à Sid El Yabouri. Les « cherifate », elles, invitent les jeunes filles à la recherche de l’amour à venir les consulter. Elles sont voyantes et disent avoir des dons hérités de leurs parents « chorfas ». La Zerhounia, comme on l’appelle; le répète sans cesse à toutes ses clientes en leur lançant à chaque fois: «Talbou Taslim !» des djinns supposés vont hanter les lieux. «Asseyez-vous, je vais vous lire les cartes !», dit Zerhounia à sa jeune cliente en djellaba et foulard. Cette dernière se met devant elle et la regarde. La voyante semble étonnée : «Eh alors ? Vous ne me donnez pas l’ftouh ? C’est 10 DH !». « L’ftouh », c’est le prix à payer pour tout service que demanderait (ou ne demanderait pas) le client. Les tarifs varient selon le profil de celui ou celle qui devrait avant tout avoir « la nia » (la croyance) pour prétendre atteindre son but. La jeune cliente de Zerhounia écoute attentivement ce que lui révèlent les cartes : «Votre fiancé est parti et il vous manque beaucoup. N’ayez crainte, il vous appellera et vous vivrez de nouveau très heureux, car, en plus, il aura trouvé un poste très important». La cliente, tête baissée, esquisse un sourire timide. Elle est satisfaite, mais peu croyante tout de même : «C’est la première fois que je viens ici. On m’a dit que les vœux ont plus de chance d’être exaucés, grâce à ce marabout. Je ne sais pas!». La cliente semble soulagée. Quant à son fiancé, elle devra prendre son mal en patience et revenir, ici, le mercredi prochain. Car ce marabout est un lieu de pèlerinage pour les filles comme elle qui, lassées d’attendre le prince charmant, se laissent emporter par la croyance. Un drôle de voyage au fin fond du mystère de la « ziyara ». «Il faut absolument venir trois mercredis de suite pour que la demande soit entendue», explique l’hajja. Elle dit avoir près de 60 ans, même si son aspect donne l’impression qu’elle est un peu plus âgée. Ce marabout, elle en a fait une partie indissociable de sa vie. «Cela fait plus de vingt ans que je visite le «sayed». Je vous jure qu’il réalise vraiment des miracles», assure-t-elle. Ce qu’elle appelle «miracles», c’est d’avoir marié toutes ses filles et permis à ses garçons de faire des études. Elle confie se sentir en très bonne forme lorsqu’elle est au marabout, mais que, dès qu’elle s’en absente, sa santé en pâtit. «Regardez, je n’arrive même plus à marcher, parce que ça fait longtemps que je ne suis pas venue rendre visite à Sid El Yabouri». Une cause entendue à en croire sa conviction doublée d’enthousiasme. La croyance aux miracles, c’est aussi une méthode à suivre. Il faut visiter le saint homme pour repousser, d’abord, «Laâkass» ou «Tabaâ» (le mauvais sort ou la malchance). Ensuite, il faut apporter des offrandes et se laver avec l’eau du puits qui se trouve dans une salle obscure à l’intérieur du sanctuaire. C’est ce seau d’eau miraculeuse qui fait le plus parler de lui ici. Tous les visiteurs se pressent devant la porte avec un petit sac contenant serviette et accessoires de hammam, attendant que leur tour arrive. «Après s’être lavées, les filles doivent abandonner leurs sous-vêtements et en mettre d’autres en partant», précise l’hajja. C’est une nouvelle vie qui commence après la douche froide, dont le tarif est fixé à 5 DH. Le saint homme faisait ses ablutions avec cette eau dont le goût, dit-on, est sucré. Hanae vient tout juste de s’en asperger. Elle est sortie toute souriante et rafraîchie. Cette jeune femme de 34 ans achète, ensuite, du henné et un citron. Elle se dirige vers un vieux canon tourné vers la mer. Là, deux vieilles femmes invoquent l’aide de Sidi Mimoun à qui appartiendrait ce canon pour que l’offrande de henné soit acceptée et surtout gratifiée par la réalisation de son vœu. Hanae disperse la poudre verte tout le long du canon et, toujours orientée par les gardiennes des lieux, pose le citron par terre et l’écrase avec son pied droit. Ce n’est pas encore fini : Hanae doit jeter le citron derrière elle, comme si elle se débarrassait de l’acidité et de l’amertume de sa vie. L’une des gardiennes lui tendra alors un peu de dattes. Leur goût sucré symbolise une vie remplie de bonheur. Mais il ne faut pas oublier, avant tout, de payer, encore une fois, ces femmes qui servent de guide. Quelques dirhams de plus pour une nouvelle vie avec un prince charmant, certaines se dispensent même de compter les pièces avant de les donner en «ftouh». La générosité reste indispensable pour la «ziayara». Des femmes n’hésitent pas à apporter carrément des poules pour qu’on les égorge tout près de ce vieux canon. D’ailleurs, les traces de sang sont là pour en témoigner, près de cette montagne de déchets de citrons, de plastique et de bouteilles qu’on s’est contenté de brûler. «Lorsqu’on rêve qu’un djinn nous demande de faire un sacrifice, il faut lui obéir ! », assure Fatima, l’une des gardiennes du lieu. Pas la peine de contester ! Et quand on invoque le nom d’un djinn, il faut s’arrêter de parler et crier haut et fort sa croyance en lui. Il a des pouvoirs qui pourraient vous aider, mais aussi vous nuire si vous n’êtes pas croyant. Un Gnaoui invoque Lalla Malika et tout de suite les fidèles sursautent en répétant en chœur : «Taslim !» plusieurs fois. Cette créature de l’au-delà, faisant partie des «Mlouk», est supposée apporter «r’zak» (la richesse) à celui ou celle qui demande sa présence. Alors si elle vous ordonne de vous habiller comme elle et de lui offrir un repas, il ne faut pas hésiter, comme le dicte l’hajja à une jeune femme.
Des rites, il y a aussi celui de Lalla Aïcha. Ses pouvoirs sont des plus redoutables, ici, et on lui offre une place très spéciale. Près du marabout se trouve ainsi un cercle fait de pierres dans lequel on jette des olives noires et des dattes. Et il ne faut pas oublier d’allumer des bougies sur le côté droit du cercle noirci par les fumées et les offrandes qui ont pourri avec le temps.   
A la quête du prince charmant, les filles sont disposées à quitter leur ville s’il le faut. Ici, il n’y a pas que des Slaouies et des R’baties qui ne ratent pas la «ziayara». Elles viennent de Casablanca, de Fès, de Ksar Lekbir et d’autres régions pour la «Baraka» de l’eau du puits. «En ce moment, elles ne sont pas aussi nombreuses, mais il faudra revenir en été. Vous verrez, cela ressemble vraiment à un moussem», affirme Noureddine qui travaille au marabout. Assis à l’entrée, il raconte que Sid El Yabouri connaît un énorme succès pendant la période estivale. Des centaines de fidèles, surtout les résidents marocains à l’étranger, viennent par habitude plus que par croyance pour retrouver les rites du bled. «Le profil de la personne ne change en rien sa croyance. On reçoit dans ce marabout des femmes illettrées et d’autres très instruites, des riches et des pauvres. On se demande souvent pourquoi elles se partagent des croyances qui n’ont rien à voir avec la réalité. Mais, c’est comme ça !», déclare Soufiane Dinia qui fait office de Moqaddam avec l’aide de son oncle et de sa tante. En fait, Soufiane n’apprécie pas qu’on l’appelle Moqaddam, il préfère plutôt gestionnaire. «Je suis là pour assurer l’organisation, éviter qu’il y ait des problèmes ou que certains viennent squatter les lieux. J’ai hérité de ce travail de mon père et c’est tout», reconnaît-il pour prouver tout simplement qu’il n’avait pas d’autre choix.
Soufiane est donc gestionnaire et il ne s’occupe pas uniquement de l’organisation, mais aussi du business de l’eau de la « Baraka ». C’est lui qui encaisse les 5 DH pour chaque entrée. Il tient, d’ailleurs, dans ses mains, des jetons en carton pour calculer le nombre des entrées. A quoi sert cet argent ? «Nous sommes trois familles à avoir hériter de ce marabout appartenant à nos arrières grands-parents : les Dinia, les Sbata et les Alaoui. Chaque famille veille sur les lieux à tour de rôle de 12 jours chacune. L’argent qu’on encaisse à la fin de chaque tour est partagé entre les membres de la famille. Personnellement, je n’empoche rien. Je préfère que la somme collectée soit offerte aux pauvres et aux rénovations du site», tient à préciser Soufiane. Ce dernier souligne, aussi, que tous les cultes que pratiquent les fidèles et autres «chorfa» autour du marabout ne doivent pas porter atteinte au saint homme. «C’est incroyable ce que je vois comme personnes qui viennent me consulter pour que je leur donne des antidotes contre “tquaf“ et autres mauvais sorts. Seule chose à laquelle je crois, c’est ce que je vois : la Baraka », confie-t-il en affirmant que des fidèles de Sid El Yabouri ont réussi à atteindre leur objectif après s’être lavées avec l’eau du puit jadis usité par le saint homme. Il n’y a pas que les Marocains qui raffolent de cette eau magique, mais aussi les touristes étrangers. «L’été dernier, un jeune Français est venu au marabout. Il paraissait très fatigué, alors je lui ai proposé de prendre le bain. Je vous assure, qu’après, il s’est senti renaître de nouveau ! Il est même revenu le mercredi d’après pour nous en remercier en nous offrant du sucre et des dattes», se rappelle Noureddine. Oui, Sid El Yaboubi n’est plus destiné qu’aux femmes qui veulent se débarrasser de leur célibat. Le panel des croyances s’est élargi au fil du temps autour de ce marabout pour englober la fertilité, la guérison, la réussite professionnelle…. Il y a autant de « niat » que de préoccupations. Le marabout offre un refuge à tous ses fidèles et leur redonne espoir. La croyance soulage bien des esprits et cela est suffisant pour tourner la page de toute une vie. Le prince charmant vous attend ! 

Qui veut du mal à Sid El Yabouri ?

C’est un tollé. Le marabout de Sidi Abdellah El Yabouri a été violé, lundi. Soufiane Dinia, un des moqaddems du site est indigné : «On a essayé de profaner la tombe de ce Salih en creusant dessus un énorme trou. Et, à quelques mètres, il y a un autre trou». La police a fait le déplacement au marabout pour dresser son constat. D’après le gardien d’un parking à une cinquantaine de mètres du site, deux hommes sont venus très tard dans la nuit et ont pénétré à l’intérieur du marabout sans grande difficulté. Qui sont-ils ? C’est ce qu’essaie de déceler la police en ce moment même, puisqu’elle mène une enquête à ce sujet. Le ministère des Habous et des Affaires islamiques en charge de ce patrimoine en a été avisé.
Certains avancent déjà une hypothèse : deux hommes, originaires du Souss, étaient à la recherche d’un trésor et se sont fait aider par un membre de l’une des trois familles du saint homme. On avance que cette implication est presque sûre, parce qu’un des deux trous a été couvert par du ciment. Que des suppositions qui fusent pour témoigner du choc que cela a suscité auprès des fidèles. Il faut dire que Sid El Yabouri requiert un grand respect.
Abdellah El Yabouri est d’origine andalouse.  Il a vécu au temps d’Abou Inan de la dynastie des Mérinides en 1300. Il s’est fait connaître et reconnaître par son érudition. Son savoir a fait de lui un des enseignants les plus célèbres à l’époque. Cela fait 600 siècles qu’il est enterré face à la mer à Rabat. «Il n’était pas guérisseur comme certains le croient. C’était un homme de bien et un érudit, c’est tout !», affirment ses descendants. Le reste, vous l’aurez compris, n’est que légende. 

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