Culture

La fascination d’ Al Jazûli par Amran El Maleh (2)

© D.R

Cette précision faite et continuant de te parler à toi-même, tu t’arrêtes comme si tu venais d’arriver à une sorte de croisée de chemins, incertain sur la direction à prendre. Un lieu d’un immense retentissement, débordant ses propres frontières, la figure primordiale d’un saint, son oeuvre dont le rayonnement, l’intense circulation est telle un fleuve fécondant de son limon fertile la prière des humbles, et enfin là entre tes mains un ensemble de photographies qui aussitôt cessent d’être des photos, tant il est vrai qu’entre les photos et ces lieux mêmes photographiés un espace s’est ouvert, interstice par où, libérée, une certaine parole passe. Le risque d’un discours impertinent, bientôt frappé d’aberration, menaçant de ruiner ce qu’il ambitionne de saisir. Rêver le rêve peut-être impossible: tendre des miroirs pour tenter de capter les reflets de cette lumière de l’invisible là où, paradoxe des paradoxes la photographie, duplicité de l’art, nous donne à voir ce qu’elle travaille subitement à dérober à l’évidence du regard, instaurant le silence, cachant, dans les plis mêlés de nuit et de lumière, la source vive, l’aliment primordial du travail de l’artiste par delà la chaîne des métamorphoses de la création esthétique. Qu’on ne s’y trompe cependant pas, sous peine de céder à une confusion totale, à un amalgame informe de plusieurs choses à la fois. Il n’y a au départ chez Moulay Ahmed Ben Smail aucune intention de délivrer un message quelconque ni encore moins la tentative qui serait absurde de faire d’un travail purement artistique le moyen de transmettre, exprimer traduire un état, une inspiration ou à la limite une idée dans le droit fil de la spiritualité jazûlienne. On n’a que trop souvent des exemples médiatiquement exploi-tés de cette grotesque imposture de pseudo-artistes qui viennent dire qui peignent en un état de transe mystique ou qu’ils sont possédés, travaillant, exécutant sous l’emprise de jnoun que, pour la circonstance on veut bien croire maîtres accomplis en matière de création artistique. Mysticisme, soufisme sont maintenant des pavillons de complaisance, arborés par des navires de contrebande et ce pour tromper toute vigilance. Tout est faussé, tout est faux en la matière, et de l’authentique mystère de la création artistique, on a, en fait, en le détournant de sa signification véridique, en l’aliénant à des fins mercantiles, ce n’importe quoi qui pourrait faire vendre. Moulay Ahmed Ben Smaïl se situe à l’écart de ces magouilles pseudo artistiques, à l’écart aussi de ces prétentions intellectuelles qui, en peinture, en photographie, comme en tout autre domaine d’activité artistique, agitent des concepts, masquant ainsi une impuissance effective à créer quoi que ce soit spontanéité, simplicité dont on ne voit pas qu’elle est le fruit d’un long cheminement, une méditation qui échappe à l’attention et qu’on ne sait pas repérer en cet espace où elle travaille dans la doublure de l’apparence ; Moulay Ahmed a ce geste primordial de l’artisan, inscrit dans les strates d’une tradition fertile, travaillant de l’intérieur, hors de toute extériorité, en prise directe avec la matière qu’il façonne et qui, en retour, le façonne, ici ces lieux qui l’habitent et l’on sait, qu’à l’image de ce qui se manifeste chez tout artisan, dans les corps de métier, ce geste est sacré, entouré d’un duel bien défini. Voyez donc, attardez-vous devant ces photographies où se dit à voix basse, confidence intime, cette vie humble, digne et pudique. Cette ruelle que tu arpentes, par où tu es passé à maintes reprises, trouée de lumière, découpée dans l’arcade de la nuit, lumière tombant là à droite, éclairant une porte de bois travaillée, le heurtoir apparent. Il va peut-être éveiller des présences endormies, puis sur l’un des piliers l’encadrant, une main, une main humaine, d’enfant sans doute, a tracé le contour d’un coeur transpercé, sous tes pieds ces plaques de fonte, ce sol de bosses, de galets, de fondrières, rudes aspérités, inscrivant sur tout le territoire du corps par les secousses successives, imprimées comme autant d’incisions les lettres composant une histoire archaïque. Itinéraire continué exploration, l’oeil court, la nuit noire lisse cernant une percée de lumière, les pas conduisent parfois à une vision quasi-irréelle, indécise, lointaine, étrange comme dans un rêve. Parfois, le plus souvent, une architecture s’éclaire, enfilade de voûtes, solives d’un mur à l’autre pour soutenir des treillis de roseaux et branchages propres à donner de l’ombre ; puis ce jeu de portes, une succession, solides, éloquentes, sculptées par l’érosion du temps, pages de garde d’une mémoire, fermées sur une histoire privée, à l’abri de tout regard inquisiteur. Elles sont là données à voir en une lumière calme, silencieuse. Une haute fenêtre grillagée signe ces maisons repliées, fermées sur elles-mêmes, des pas encore, et voici une fois le seuil franchi la margelle d’un puits, des marches, un pied saisi dans sa montée, le poids, l’enracinement affirmé d’un être là, silhouette anonyme, allongée, enveloppée dans ses vêtements une main, autre image, allongée sur une tache de sang, peut-être mais on n’en est pas sûr. Tu te dis : on pourrait multiplier les détails, mais on voudrait se retenir dans la crainte de déborder la modestie voulue de ce travail, dans la crainte aussi qu’on se dise à quoi bon cette lecture de signes fragmentaires, là où il suffirait de voir Moulay Ahmed a effacé toute démarcation entre la photographie et la peinture qu’il pratique également, les photographies sont donc comme autant de toiles, invitant le regard à les traiter comme telles, l’artiste ici, a pris comme matériau privilégié la lumière et son ombre nocturnale, explorant ses virtualités plastiques, ses pouvoirs d’évocation d’éveil à l’invisible dont elle émane. Peintre artiste à la vive sensibilité particulièrement orientée.

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