Culture

«La rencontre» de Mamoun Lahbabi aux Editions Orion

© D.R

En spéléologue, Mamoun Lahbabi pénètre une nouvelle fois dans le tréfonds de la société pour nous faire partager la souffrance d’une mère livrée à la source de sa vie aux vicissitudes d’une existence que des hasards innombrables ballotent tantôt dans le désespoir, tantôt dans un espoir qui rallume les feux du bonheur. Un roman à tiroirs qui emballe la curiosité.
Que de fois n’avons-nous pas croisé des vagabondes avec ou sans bébé dans les bras, lovées sous un porche d’immeuble d’une grande avenue ou encore à un feu de signalisation la main tendue aux fenêtres des voitures. Que de fois nous sommes passés sans les voir comme si elles étaient invisibles, rayées de notre conscience par une indifférence glacée.
Mais que de fois, aussi, secoués par les dégâts de l’indigence, ne nous sommes nous pas demandés à quoi pouvaient ressembler leurs vies, de quelles douleurs leurs jours sont-ils nourris.
Voilà, on sait. Dans «La rencontre», Mamoun Lahbabi nous amène auprès de l’une d’elle. Avec la patience d’un guide et l’application d’un observateur qui scrute les recoins cachés de l’existence, l’auteur nous invite à escorter les jours de Zaïda, cette femme à peine sortie de l’adolescence et déjà condamnée à la survie avec ses deux bébés.

Zaïda n’est pas une mendiante, mais une femme que la somme de la naissance et de l’enfance a projetée dans la misère et l’errance. La cruauté de la vie n’a pas épargné la suite d’un âge blessé par les obscurités et les privations quotidiennes. Elle ne tend pas la main et attend le geste généreux qui offrira une pièce. Peut-être aussi espère -t-elle dans le tréfonds de son âme la parole chaleureuse qui fera rejaillir en elle le goût de vivre en insufflant dans son cœur l’attente fébrile du lendemain.
Cette sensibilité n’échappe pas au narrateur: «J’aime ce talent qui accorde à la vie l’endroit et non l’envers, qui enjambe par la passion de vivre le tragique du monde. Il y a de la grandeur à aimer la vie de manière ostentatoire, à en désirer les moindres instants avec la même ardeur. C’est à cet amour de la vie qu’il faut alors imputer la laideur de la mort. Qu’importe de vivre ou de mourir quand la vie est contournée par le renoncement et la résignation, quand l’esprit, davantage que la peau, est ridé par la haine et la vengeance. Je l’écoutais encore et encore, soumis volontiers au pouvoir érotique de ses paroles. Son récit, imperceptiblement, frappait mon attention autant qu’il me transportait. Dans le sillon qu’elle traçait avec une légèreté méthodique, je glissais entre ce qu’elle était et ce qu’elle est. Par moment, les larmes me montaient aux yeux pour être aussitôt relayées par le rire. Dans ce mouvement aux fausses apparences contradictoires, je pénétrais davantage sa vie, comprenant peu à peu les ressorts profonds qui l’animaient. Dans la grâce orale qu’elle déployait, il n’y avait aucune séduction, seulement le désir d’éloigner les spectres de la véhémence et de l’aigreur.» (page 99)
Mamoun Lahbabi ne bouscule pas les mots mais leur accorde le temps nécessaire pour distiller le lien invisible tissé entre cette femme et un écrivain que le vent de la curiosité et de la compassion a charrié auprès d’elle.
Le titre n’est pas un emprunt abusif à la langue mais bien l’événement dans ce roman de chaleur et de passion qui ébranle les préjugés en scandant les valeurs universelles que sont la dignité, l’estime de l’autre, la confiance, le besoin de tendresse et d’amour.
«La rencontre» est un roman surgi de la souffrance d’une femme qui vit deux années en une seule, et qu’un heureux hasard a portée aux côtés d’un homme dont la passion reste censurée et muette.
Par-delà l’histoire déroulée avec la pudeur qui sied pour évoquer les souffrances dont il n’est pas atteint, Mamoun Lahbabi veut dire au lecteur que les mots ne sont pas les dépositaires exclusifs du langage. Le chagrin, la passion, la confiance… sont des langages tout aussi éloquents.
Dans «La rencontre», ces langages se superposent pour imprimer un rythme qui fait du roman une lecture qui mordille le cœur.

Aux Éditions Orion. 182 pages. Mai 2022. Disponible en librairies.

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