Culture

Labyrinthe des sentiments

© D.R

Gharib le poète aime les femmes. Il les chante dans ses poèmes, les célèbre dans ses souvenirs, les adore en pensée, et en actes. Surtout à Naples, la ville de tous les désirs, de tous les débordements, où les Marocains, comme Gharib, peuvent se sentir comme à Casa. La ville où lui-même a vécu la plus passionnée et la plus tragique des histoires d’amour, dans un lointain passé. Aussi, lorsqu’il rencontre Wahida, jeune Marocaine charnelle, pleine de vie et criante d’amour, il succombe aussitôt à son charme. Mais sous quelle forme aimer cette jeune femme vouée à la prostitution ? Comment l’atteindre ? Nous le suivons dans cette quête à travers les rues napolitaines, rythmée par les affiches lacérées d’Ernest Pignon-Ernest, ces madones et ces veuves qui semblent lui raconter sa propre histoire tout en lui indiquant le chemin. En quelques pages ciselées, Ben Jelloun écrit le roman de Naples, la véritable figure féminine du récit, qu’il transforme en mythe vivant, prête à concurrencer même Rome, même Venise. Chaque année en avril, et ce depuis trente ans, le poète Tahar Ben Jelloun accomplit un pèlerinage à Ravelle où mourut son premier amour. Elle se nommait Gazelle et ses pieds minuscules piaffaient d’impatience de vivre. Est-ce elle qui inspira au peintre Ernest Pignon-Ernest ces portraits affichés sur les murs de Naples ? Ou serait-ce Nadia, la fille de Kateb Yacine ? Ou encore Wahida? Les images se superposent, les souvenirs se réincarnent et, comme dans une chanson de Nerval la dernière est toujours la première. Voici deux petites paumées marocaines qui sillonnent les rues. Elles ont la détresse légère, le vin gai et des projets d’avenir à ne savoir qu’en faire. Déjà, elles ont réussi à échapper à la misère de Casablanca. Maintenant, tous les espoirs sont permis. Wahida, la plus jolie, a jeté son dévolu sur le poète. Qu’il ne lui parle pas de sagesse ou de renonciation, elle ne veut rien entendre ! Et puisqu’il aime tant la poésie, qu’il lui en récite. A chaque strophe, elle enlèvera un vêtement, un bijou. Ainsi se déroule un strip-tease sur fond de Cantique des Cantiques. Mais au dernier vers, le roi Salomon regagne ses appartements, peut-être pour y chercher l’équivalent français des quarante mots qui, en arabe, désignent le sexe des femmes. Il en faudrait davantage pour décourager la belle. Oubliant qu’elle appartient à la mafia albanaise, elle s’obstine à revendiquer sa part de bonheur. Comme toutes les alouettes, elle finira par se casser le bec contre le miroir, pour le seul profit de la littérature. Celle-ci s’affirme victorieuse, marie regrets et désirs, déploie par-dessus la Méditerranée un chant qui conjugue toutes les nostalgies, de l’enfance, de la jeunesse, des amis disparus, des rêves qui s’enchaînent les uns aux autres au fil des ruelles de la médina et qui promettent un éternel retour.

Labyrinthe des sentiments,
Tahar Ben Jelloun, Seuil.

Related Articles

Culture

Festival international du film d’Al Hoceima: Le film turc «The Reeds» remporte le Grand prix de la 4è édition

Le film turc «The Reeds» (les Roseaux), réalisé par Cemil Acacikoğlu, a...

Culture

Prévu du 17 au 25 octobre : Le Festival national du film de Tanger annonce ses dates

La 25ème édition du Festival national du film (FNF) se tiendra du...