ALM : Toute l’attention des autorités est focalisée sur le devenir de l’Hôtel Lincoln. Pourtant d’autres bâtiments sont aussi menacés. À quoi cela est-il dû ?
Ahmed Hariri : Le dossier du Lincoln a montré l’importance du débat public et de sa gravité, mais le patrimoine architectural ne se résume pas à l’Hôtel Lincoln. Toutefois, cet hôtel est un des premiers bâtiments qui ont été construits à Casablanca. De style mauresque, ce bâtiment a été créé en 1916 par l’architecte français Hubert Bride. Il a meublé l’avenue Mohammed V et a constitué avec le marché Central l’un des principaux bâtiments des artères centrales de Casablanca. C’est un bâtiment qui est très beau et très vieux aussi.
De ce fait, il a pris sa place dans la mémoire collective de la ville et s’est imposé avec force. La preuve est qui il a résisté aux aléas du temps, à la pluie, aux vents et à toutes sortes d’agressions qu’elles soient naturelles ou humaines. Il a toujours lutté avec acharnement pour se maintenir en vie. Et il continue de lutter.
Je pense, personnellement, que sa prédisposition à résister impressionne et a poussé les concernés à le préserver. Étant donné qu’il s’est inscrit par la force des choses dans la mémoire collective, le fait de le voir en ruine, complètement dém-oli c’est comme si on perdait une partie de cette mémoire. Aujourd’hui, toute l’attention est certes focalisée, concentrée vers ce bâtiment sujet à plusieurs spéculations.
Mais ce qui est sûr, c’est que d’autres immeubles et bâtiments datant de l’époque coloniale sont en détresse et sont dans un état beaucoup plus déplorable.
Quels sont justement les autres bâtiments qui font partie du patrimoine architectural de la ville ?
J’aimerais souligner que Casablanca compte en tout et pour tout près de 300 bâtiments architecturaux. Une quarataine ont été inscrit dans le patrimoine de la ville et sont préservés. Le reste est en cours d’inscription. Parmi ces bâtiments, nous pouvons citer le bâtiment de la Poste, le Palais de Justice, la wilaya, la Banque du Maroc, l’immeuble Maroc Soir, l’Immeuble Glaoui, l’Immeuble Assayag, le Comptoir des mines, l’Hôtel Excelsior, l’Hôtel d’Anfa qui a été démoli, l’Hôtel Volubilis qui a été modifié ainsi que l’Hôtel Marhaba, qui est lui en cours de modification. La lise est encore longue. Il y a également certains bâtiments qui ont échappé à la destruction comme la Villa Rouge.
En parlant de démolition, êtes-vous de ceux qui pensent que les destructions ont été opérées à cause du poids colonial qu’ils représentent ?
C’est vrai que certains architectes et professionnels pensent que les immeubles datant de l’époque coloniale ont été détruits pour mettre fin, une fois pour toute, à une époque que les acteurs de cette démolition méprisent. Les bâtiments peuvent illustrer la puissance coloniale, mais ce n’est pas une raison pour les détruire, car à présent ils nous appartiennent. En plus de cela, ces bâtiments font partie du paysage architectural de Casablanca. Les détruire conduirait à déformer complètement la structure architecturale et esthétique de la ville. Il faudrait donc plutôt régler le problème avec le passé colonial et se repositionner par rapport à l’Histoire. Mais, personnellement, je pense que la destruction de ces bâtiments résulte tout simplement de l’ignorance très prononcée des protagonistes de cet acte. Toutefois un autre élément vient ici s’ajouter et s’imbriquer, il s’agit de l’appétit des spéculateurs immobiliers ; ils voient en ces bâtiments condamnés des proies pour y exercer leurs actions sadiques, celles de détruire pour vendre à des prix inabordables.
Parmi les bâtiments démolis pouvez-vous en citer quelques- uns ?
Le système de démolition est toujours présent et pas seulement à Casablanca. Mais cela est vrai que cette ville fait partie d’un patrimoine architectural urbanistique des plus importants. Elle a donc attiré l’attention des architectes, tous unanimes quant à la spécificité de cette ville sur le plan urbanistique. Concernant les bâtiments qui ont été détruits et qui ont alarmé un grand nombre de personnes, nous pouvons citer notamment, le Théâtre Municipal, l’hôtel d’Anfa, les Arènes et la villa Mokri.
Est-ce que ces démolitions continuent encore de nos jours ? Et que faudrait-il faire pour y mettre un terme ?
Logiquement lorsque certains bâtiments ont été inscrits, ils sont normalement protégés par la loi, et sont préservés. Cependant, il existe bien évidemment des exceptions. Certains propriétaires d’immeubles peuvent échapper à la loi comme c’est le cas ailleurs et pas seulement au Maroc. Aujourd’hui, nous possédons une loi qui prévoit des sanctions en cas de délit, mais il existe un écart entre la loi et son application. Il ne suffit pas d’avoir des textes si on ne les applique pas.
Ceci dit, l’architecture fait partie du corps de la ville et quand elle est touchée elle porte atteinte à toute la ville. Pour ce qui est du travail de sensibilisation, l’Ordre des architectes organise souvent des journées d’étude sur cette question de préservation du patrimoine de Casablanca, des rencontres avec la presse sont également prévues. Une manière de médiatiser le sujet et de lui donner l’importance qu’il mérite. Mais heureusement qu’aujourd’hui les choses changent.