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Lahsen Bougdal: «Les injustices subies par les femmes marocaines et africaines m’inquiètent»

© D.R

Entretien avec Lahsen Bougdal, écrivain marocain[box type= »custom » bg= »#eeedeb » radius= »5″]

L’auteur Lahsen Bougdal vient de publier son roman «Face à l’amer». Dans cette œuvre, il raconte l’histoire d’une Subsaharienne qui subit les affres de l’immigration pour rejoindre son mari à l’Hexagone. L’écrivain, qui se glisse parfaitement dans une peau féminine, s’exprime sur sa démarche littéraire pour concevoir cette intrigue dont la lecture laisse vraiment témoigner de cette souffrance. L’occasion également de l’interroger sur le dénouement de cette publication qui sera suivie de «quelques surprises» tel qu’il le révèle.

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ALM : Pourriez-vous nous raconter comment vous avez ressenti, en tant que Marocain, les douleurs d’une héroïne africaine pour décrire ses sentiments ?
Lahsen Bougdal : Écrire et ressentir les émotions de ses personnages est sans doute une aptitude qui nécessite beaucoup d’écoute et d’observation au quotidien. La tâche est encore plus difficile lorsqu’il s’agit de transmettre ces émotions aux lecteurs car dans un texte il y a une alchimie à trouver entre la composition des personnages, l’intrigue et le style. Que ces derniers soient issus d’une autre culture nécessite une attention particulière. De façon générale, quand je compose mes personnages, je fais une distinction entre les émotions et les sentiments. Les premières nécessitent une observation très fine des réactions physiques, alors que les seconds sont beaucoup plus complexes. Les émotions nourrissent les sentiments et les deux ne se manifestent pas de la même manière.
Quand je travaille, je pense souvent aux gens que je croise dans la vie de tous les jours, mais surtout à mes élèves qui sont de différentes origines, africaine, asiatique, européenne ou américaine. Les échanges que j’ai donc avec mes élèves me permettent d’apprendre sans cesse et de sentir au plus près leurs états psychologiques. Cela m’aide beaucoup dans mon écriture. Ensuite, nos relations avec les autres au quotidien nous mettent face à une multitude de situations et d’épreuves. Il suffit d’observer et de prendre des notes. Enfin, il y a un travail de documentation et de recherche qui vient nourrir l’observation. Dans mon dernier roman, face à l’amer, j’ai dû faire des recherches sur la culture et l’histoire guinéennes, les habitudes et les coutumes des Peuls, ethnie à laquelle appartient mon personnage principal Fatoumata. J’ai procédé de la même façon pour les autres personnages. Parfois, je regarde des films, ce qui me permet de saisir certains détails et manifestations des sentiments. Les livres de psychologie m’aident beaucoup également. La différence de culture n’est donc pas un obstacle, car il y a dans ce travail une dimension tout simplement humaine et universelle. Certains de mes personnages peuvent ainsi s’enfermer dans le silence et ne rien dire. Cela ne signifie pas qu’ils ne ressentent rien. C’est la situation qui permet au lecteur de rentrer en résonnance avec eux et de partager leurs ressentis à ce moment-là.

Rares sont les auteurs hommes qui se trompent au moment de l’écriture en se glissant dans une peau féminine. Quel a été votre procédé pour relever ce défi ?
Se glisser dans une peau féminine pour un homme ne doit pas être à mon sens un défi à relever. Cela reviendrait à accepter le principe de dualité selon lequel il y aurait une peau féminine et une peau masculine. En littérature, rien ne permet d’établir l’existence d’une écriture féminine différente d’une autre qui serait masculine ; encore moins de sentiments typiquement féminins. Maintenir cette opposition condamnerait les femmes à occuper une position inférieure et donc perpétuer la logique de la hiérarchie des sexes qui renvoie à une hiérarchie des genres littéraires. La spontanéité, l’improvisation, la fragilité et le sentimentalisme ne sont pas l’apanage des femmes. Pour ma part, il n’y a donc pas de spécificité féminine. La différence renvoie à l’idée d’infériorité. C’est un vrai piège. L’écriture, à mon sens, ne peut se développer que dans le refus de cette hiérarchisation. Quand j’écris sur des personnages féminins, je ne cherche pas à me glisser dans une peau féminine. Demande-t-on d’ailleurs à une auteure de «faire homme» quand il s’agit de décrire des personnages masculins ?
Je fais donc confiance à ma propre sensibilité. Mon attention est davantage portée, non pas sur le sexe des personnages, mais sur leurs caractères. La plupart de mes textes portent sur les femmes. Au fil de mes livres (recueils de poésie, nouvelles, romans, essais), je vois se dessiner une sorte de cartographie intellectuelle qui se donne à lire comme déclinaison de mes préoccupations permanentes. En effet, les injustices subies par les femmes marocaines et africaines de façon générale m’inquiètent. Mes personnages féminins sont donc une émanation de ma sensibilité. Il y a aussi une part autobiographique dans ma relation avec mes personnages féminins. Tout cela me facilite en réalité la tâche.

La piste djihadiste était inattendue au dénouement. Pourquoi un tel choix ?
J’ai choisi effectivement ce dernier rebondissement au moment où le lecteur s’y attend le moins. Cet effet de surprise est donc volontaire. Alors que l’intrigue s’achemine vers sa fin, cette piste djihadiste surgit pour relancer le récit et aboutir à un dénouement inattendu. Par ce choix, je voulais montrer à quel point les attentats de Paris constituent un traumatisme profond pour tous les Français. Pour la première fois dans l’histoire récente de la France, nous avons découvert que des citoyens français étaient capables de retourner leurs armes contre leur propre pays ; tuer d’autres Français innocents. Les conséquences étaient désastreuses sur tous les Français et les étrangers de confession musulmane. Et comme l’immigration est au cœur de ce roman, je ne peux pas passer sous silence ce traumatisme. L’intrigue se déroule entre 2015 et 2021. Fatoumata arrive à Paris juste après les élections présidentielles de 2017 marquées par l’arrivée de la présidente du Rassemblement national au deuxième tour. Omar, son époux, autre personnage central du récit, est arrivé à Paris, quant à lui en 2015, juste après les attentats.
Le sort réservé aux immigrés en France, la question identitaire, l’intégration des minorités ethniques, la place de la religion musulmane en France, sont autant de questions soulevées dans ce roman, car elles sont au cœur de l’actualité et reviennent de façon cyclique à chaque élection.

Auriez-vous des projets ?
En général, quand je termine un livre, je traverse une période très difficile pendant laquelle je suis dans un état de manque semblable à une personne dépendante. L’écriture est devenue pour moi au fil des années comme une sorte d’anxiolytique. Je ne fonctionne pas à partir de projets préétablis et je n’ai pas de rituel d’écriture. J’attends donc chaque fois qu’un sujet s’impose à moi. Je traverse le monde et je m’expose à sa brutalité avec une sorte d’indignation qui me met aux prises avec les injustices que j’essaie de dénoncer dans mon écriture. En ce moment, je suis dans cet état d’ébullition avec quelques surprises que je vous révélerai bientôt.

 

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