Chaque fois qu’elles informent sur des attentats, des prises d’otages ou des mises à mort par égorgement, les chaînes de télévision occidentales montrent des caractères en arabe. Un journaliste est enlevé en Irak que la nouvelle de sa disparition est accompagnée d’un gros plan sur une page d’Internet où l’on voit une succession de phrases en arabe. Un otage est égorgé d’une façon innommable que l’atrocité du crime est nommée par des mots en arabe. Le groupe de l’islamiste jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui promet, à l’occasion des élections en Irak, un Bagdad à feu et à sang que l’arabe dispense, une fois encore, des preuves du sérieux de la menace.
La répétition fait la réputation. Et à force d’associer l’arabe à la mort, aux attentats et aux corps démembrés, non seulement les chaînes de télévision lui forgent la réputation d’une langue violente, mais le rendent quasi anaphorique de la part maudite, archaïque et barbare du siècle. Il serait faux de les accuser, toutes, d’un projet concerté. Mais à quoi sert de montrer un communiqué en langue arabe, chaque fois qu’une chaîne informe sur un enlèvement, une mise à mort ou la revendication d’un attentat ? Est-ce pour prouver que la chaîne a vérifié l’info en remontant à la source ? Dans ce cas, il est démesuré d’afficher cette preuve en plein écran et surtout inutile de la montrer à des téléspectateurs qui n’en saisissent pas le sens et sont incapables d’en vérifier la teneur.
Ne comprennent pas cette langue, et la voyant très souvent – presque toujours – liée à des actes de violence, quoi de plus normal que des téléspectateurs l’appréhendent comme l’emblème, le blason et les armoiries du sang. À la télévision, la langue arabe ne constitue pas une suite de morphèmes signifiants, mais des signes qui véhiculent un seul message : celui de la maladie de notre temps. Celui des abominations et de l’abondance du sang. Quelle que soit la nature du texte, fût-il un hymne à l’entente entre les peuples, un dithyrambe pour la fraternité entre les religions, il ne peut rien changer à la réception. Pour des yeux (et c’est vraiment le cas de le dire) étrangers, l’arabe est une image qui sera souvent associée à la violence qu’elle revêt dans les médias.
Que faire alors ? Cacher comme une tare tous les documents en arabe dès que l’on quitte nos frontières ? Signer une pétition pour que l’on inscrive sur nos passeports seulement des caractères latins ? Lutter contre les chaînes qui donnent à la violence une iconographie arabe ?
Signe des temps : un peintre marocain a refusé que le catalogue de son exposition se laisse feuilleter de gauche à droite et inversement. Gambergeant sur une carrière internationale, il a banni l’arabe. Avec une aussi brave circonspection, nous aurions bientôt honte de nous appeler Mohamed ou Fatima.