ALM : Professeur Al Baroudi, vous présidez l’Association marocaine de chirurgie qui est une société savante dans la discipline de chirurgie viscérale, quelle appréciation faites-vous sur le chirurgien marocain et les étapes de sa formation ?
Saïd Al Baroudi : Je voudrais tout d’abord faire une petite précision concernant la Société marocaine de chirurgie dite SOMACHIR, qui est en fait la société-mère des spécialités chirurgicales. Ainsi, et malgré la création d’autres sociétés, elle continue à organiser des sessions de formation continue avec des thèmes qui concernent toutes les branches de la chirurgie.
Cependant, ses principales activités sont actuellement axées sur la chirurgie viscérale et la laparoscopie. Concernant le niveau du chirurgien marocain, il est globalement très bon, et reste attaché à l’esprit de l’école française de chirurgie, qui est excellent et à l’avant-garde. La formation initiale du chirurgien est actuellement unifiée au niveau national. L’internat est la voie royale, mais le résidanat offre l’homogénéité dans la formation, avec un contrôle académique structuré, et à terme le suivi du carnet du résident devrait comptabiliser le nombre d’interventions faites en deuxième aide, première aide et en opérateur.
La Société marocaine de chirurgie œuvre inlassablement dans le sens d’une mise à niveau permanente du chirurgien marocain, en créant des rencontres de haut niveau telles que le cours européen de coeliochirurgie qui aura lieu à Marrakech les 5 et 6 mai. Qu’en est-il la participation marocaine à cette manifestation ?
Le cours européen de chirurgie laparoscopique s’est toujours déroulé à Bruxelles. En mars 2004, nous l’avons co-organisé avec nos partenaires belges et français et avec la présence de sommités internationales, et experts en vidéochirurgie. Cette manifestation a connu la participation de 170 chirurgiens européens et plus de 130 chirurgiens marocains.
Cette année, et sur demande de nos partenaires européens qui ont gardé un excellent souvenir, nous co-organisons la session de mai à Marrakech. Ainsi nous offrons aux chirurgiens marocains, maghrébins, et quelques confrères de l’Afrique subsaharienne la possibilité d’assister à l’un des rares cours européens accrédités par les instances américaines et canadiennes de formation continue.
Le choix libéral du Maroc a facilité pour une grande part les échanges scientifiques au travers des congrès et autres manifestations d’une incidence certaine sur la qualité du chirurgien marocain et des médecins de façon générale. Quelles sont les possibilités actuelles de la médecine au Maroc ?
Comme je viens de le dire, le renouvellement des connaissances et des technologies est très rapide. Ce n’est surtout pas un effet de mode, et ce serait dommage de le croire, car les possibilités d’offrir aux citoyens marocains des soins de qualité et un confort sanitaire passent obligatoirement par une mise à jour continue des connaissances et des compétences, et une mise à niveau technologique. Ceci nous permettrait d’être compétitifs sur le plan international et faire du Royaume une destination sanitaire. Pour être réaliste, il faut dire que la santé a un coût. Il est illusoire de vouloir prodiguer des soins de qualité avec des budgets d’investissement et de fonctionnement très faibles. En résumé la politique de libéralisation est excellente, elle crée une concurrence positive entre les différents secteurs.
La chirurgie coelioscopique ou chirurgie mini-invasive ou chirurgie assistée par caméra connaît un engouement important au Maroc, notamment pour les indications de consensus concernant la chirurgie de la vésicule biliaire. Quels sont les obstacles à sa généralisation au Maroc, quand on sait qu’elle est cantonnée à l’axe Casablanca –Kénitra pour une grande part ?
Les compétences existent, les sessions de formation se multiplient, mais les possibilités de généraliser et de faire bénéficier le citoyen marocain de soins adéquats sont réduites. Il importe de noter que l’axe Kénitra – Casablanca n’est pas exclusif, par contre, le secteur libéral pratique la coeliochirurgie plus fréquemment que le secteur public dans les autres régions du Royaume. Les suites opératoires après laparoscopie ont un confort incomparable par rapport à la chirurgie habituelle. Une patiente opérée de la vésicule biliaire par vidéochirurgie peut réintégrer son domicile dans les vingt-quatre heures. Malheureusement, par manque de matériel, de consommable, un bon nombre de vésicules biliaires sont opérées par chirurgie traditionnelle.
Les possibilités de la laparoscopie dépassent actuellement la pathologie biliaire, à condition d’avoir le matériel adéquat et une formation suffisante. Je ne pense pas que les obstacles à la généralisation soient la formation, car plusieurs ateliers de formation sont organisés. Il est clair que le principal obstacle reste le financement de l’acquisition et de la maintenance du matériel. Il ne faut pas occulter le fait que la formation continue a aussi un coût, et qu’il n’existe pas de politique claire à ce propos. Les frais sont souvent symboliques au Maroc, comparés à ceux des pays occidentaux où les montants pour un congrès varient entre 500 et 1000 euros, quant à l’inscription à un atelier de formation pratique, elle peut atteindre 20000 dh pour trois à quatre jours.
La chirurgie abdominale ou viscérale, à l’instar des autres spécialités chirurgicales, connaît de plus en plus de plaintes liées à la responsabilité civile ou pénale du chirurgien. Ne pensez –vous pas que nous commençons à connaître les mêmes situations qu’en France dans un environnement socioculturel, malgré tout, différent ?
Je pense que les pierres angulaires sont la formation et le bon équipement. Ces derniers permettent de sécuriser le malade, de créer un climat de confiance, et de communication positive avec la famille. La plupart des plaintes sont basées sur des malentendus, ou un manque de communication.
Ce n’est pas la même situation qu’en France, car les organismes d’assurances incitent par les conséquences de leur contrôle à des procès souvent non justifiés.
Il faudrait toutefois apporter un bémol à ce préjugé, et selon l’expérience de nos confrères français, qui s’accordent pour dire qu’en cas de «morbidité iatrogène», mettre le malade au courant immédiatement, et s’attacher à le tenir informé du suivi des soins est souvent suffisants pour éviter une plainte judiciaire.
Le contexte socioculturel des Marocains, leur attachement à la religion requièrent un geste de communication et d’attention de la part du chirurgien pour éviter la plupart des situations conflictuelles.
Le risque n’étant jamais nul en chirurgie, je pense que le malade ou sa famille doivent être mis au courant des risques encourus.