Culture

Le choix idéologique

Les 30 et 31 janvier sont des dates très importantes pour l’amazigh dans notre pays. Le conseil d’administration de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCA) va se réunir pour délibérer au sujet de la graphie qui sera adoptée pour l’écriture amazighe. Il va choisir entre le tifinagh, l’arabe et le latin. Les délibérations reposent sur une étude qui a été confiée au Centre de l’Aménagement linguistique.
Le directeur de ce centre, Ahmed Boukous, nous a confié que cette étude, initiée au mois de septembre et qui a duré jusqu’au 20 janvier, a été menée par une équipe de six chercheurs. «Tous des locuteurs natifs amazighs aussi bien tachlihts, tarifits que tamazights», précise Ahmed Boukous. Sur la possibilité qu’une graphie ait été favorisée au détriment d’une autre dans l’étude, Boukous répond : «Pas du tout ! Nous avons tous un point de vue sur la question, mais nous nous sommes tenus à l’objectivité scientifique. À cet égard, nous n’avons pas pris en considération les aspects idéologiques et institutionnels de l’écriture amazigh ».
Le résultat des délibérations du Conseil d’Administration sera soumis à sa Majesté le Roi. Ahmed Boukous n’a pas voulu révéler le contenu du dossier technique, mais selon le chercheur Lhoucine Aït Bahcine, membre l’Association Marocaine de Recherche et d’Echange culturels (AMREC), l’étude a trait au coût que nécessite l’application de chaque graphie et à la présentation des ajouts que doit comprendre chaque graphie pour mieux se conformer à la phonie berbère. Mais d’emblée, certaines voix mettent en garde contre le choix d’un caractère autre que le tifinagh. «Les autres caractères sont trop tendancieux pour que leur application ne soit pas sous-tendue par un point de vue idéologique», affirme Lhoucine Aït Bahcine. Il précise ainsi que l’adoption de la graphie arabe ou latine va entraîner, «un triple coût : un coût pédagogique, un coût idéologique et un coût technique».
Selon ce chercheur, du point de vue pédagogique, le choix de l’arabe ou du latin va entraîner dans le système de l’enseignement, une confusion entre l’une de ces langues et l’amazigh. «Il est inadmissible qu’un enfant apprenne à écrire dans une même graphie l’arabe et l’amazigh !», s’exclame-t-il. Quant au coût idéologique, il a trait, à ses yeux, au fait que le latin est encore lié au dahir berbère de 1930, qui distinguait les Arabes des Berbères, et qui est encore vivace dans les mémoires. Et d’ajouter : «L’usage de la graphie latine va entraîner sa fonctionnarisation idéologique, surtout de la part des islamistes et des arabistes».
En ce qui concerne le choix de l’arabe, il est jugé par Aït Bahcine comme une «subordination» de l’amazigh à cette langue et va de surcroît entraîner des réactions de rejet des Amazighophones favorables à l’adoption des caractères latins. Enfin, le coût technique se rapporte aux ajouts que doivent comporter le latin et l’arabe à la différence du tifinagh. Aït Bahcine n’en veut comme preuve que les logiciels diffusés gratuitement sur Internet et qui permettent de se rendre compte de la fluidité du tifinagh. Ces caractères ne sont pas pourtant aussi faciles d’usage que ne le laisse entendre Lhoucine Aït Bahcine. Le tifinagh est constitué d’une suite de signes géométriques simples, points, traits ou cercles. Il est plus visible dans les gravures rupestres, les portes des maisons et les bijoux. Il est également bien représenté dans les tatouages. Il s’agit, en plus, d’un alphabet strictement consonantique.
Les voyelles n’ont été notées que secondairement à l’aide des signes consonantiques. Ses limites ont poussé à la création du le néo-tifinagh – un système d’écriture fondé sur les caractères des Touaregs et largement diffusé au Maroc et en Kabylie. Il sert d’armureries aux mouvements revendicatifs amazighs. Il soude à cet égard les berbères de l’Afrique du Nord. En dépit de son côté en apparence archaïque, il est fortement lié à une question identitaire. Et c’est pour cela que le résultat des délibérations des 30 et 31 janvier, quel que soit le bien fondé du choix d’une graphie, ne peut se soustraire à un coefficient idéologique.

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