Culture

«Le concept transhumain me passionne et m’intrigue à la fois»

Pour Mohamed Kohen, l’intelligence artificielle est au cœur de notre quotidien et elle le sera de plus en plus. DR

Le 3ème roman «Les Châtrés» de Mohamed Kohen vient de paraître aux éditions La Croisée des Chemins. Son auteur livre les contours de son œuvre, sa passion pour l’écriture et son regard sur le secteur de l’édition et du livre au Maroc.

 

ALM : Comment est née l’idée de cette œuvre ?
Mohamed Kohen : Je suis subjugué par la révolution du Web et par son impact sur nos vies. On peut parler d’une mutation rapide et fulgurante dans la mesure où le changement opéré ces dernières trente années est sans aucune mesure avec ce que l’humanité a connu pendant les trente siècles passés. L’intelligence artificielle est au cœur de notre quotidien et elle le sera de plus en plus. Son impact est considérable. Nos rapports avec nous-mêmes et avec les autres n’est plus le même et le projet transhumaniste né de cette révolution prépare un homme nouveau. Un homme dont les aptitudes physiques et intellectuelles seront augmentées aussi bien que la longévité. Certains parlent d’immortalité, ce dont j’en doute un peu, car nous sommes nés pour mourir.

Justement vous avez parlé du projet transhumaniste, est-ce que vous avez effectué des recherches dans ce sens?
L’hybridation de l’homme par la machine est déjà une réalité. Ce n’est certainement pas une utopie. On est capables aujourd’hui et grâce à des matériaux synthétiques de faire écouter un sourd. Les rétines artificielles font voir l’aveugle. Les pacemakers font repartir un cœur fatigué. Il est possible d’appareiller un membre amputé et le faire bouger via la pensée à travers un ordinateur. Les manipulations génétiques mettront fin aux maladies génétiques et feront naître des bébés à la carte. Les imprimantes 3D fabriqueront des organes à transplanter. Les cellules souches détruiront les cellules sénescentes et plus encore. Ce concept transhumain me passionne et m’intrigue à la fois. C’est ainsi qu’est née l’idée de m’y intéresser d’abord en faisant des recherches sur le sujet, je me suis documenté puis je l’ai rendu au lecteur sous forme d’une fiction où je raconte l’histoire d’un drame sanitaire qui prend son origine dans un petit village du Moyen Atlas. D’abord une infection mortelle qui va décimer la moitié de la population mondiale et rendre stérile l’autre moitié. Il s’ensuit une lutte acharnée pour la survie dans un monde post-apocalyptique. Les personnages sont développés de manière que les lecteurs puissent s’y identifier et les événements sont captivants, offrant un récit passionnant qui tient en haleine jusqu’à la fin.

En lisant votre roman, on a l’impression que les faits de ce roman sont tirés de la pandémie du coronavirus…
Absolument pas. J’ai entrepris l’écriture de ce roman bien avant la pandémie du coronavirus. Il n’a pas pu être édité à temps, victime comme le reste du monde de la crise. Ceci étant dit, ce n’est certainement pas une prophétie. L’idée d’écrire sur le phénomène transhumain me titille depuis longtemps, il m’a fallu imaginer une porte d’entrée. De par mon métier, je sais que l’humanité a connu des épidémies, elle en connaîtra d’autres. Je connais les effets collatéraux d’un tel drame que ce soit sur le plan sanitaire, économique ou politique. Quelques passages du roman rappellent des événements vécus, mais ce n’est pas le cœur du roman. Les Châtrés est l’occasion donnée pour partager avec mes lecteurs des réflexions sur la nature humaine, sur la cupidité des hommes et le piège de la démesure, sur l’instinct de survie et finalement sur le sens de la vie.

Vous avez évoqué la question morale de l’innovation, de l’intelligence artificielle. Que voulez-vous transmettre au juste ?
Depuis la première révolution industrielle, le progrès a été considéré comme le moyen de rendre les hommes libres et heureux. Sans la machine à vapeur (James Watt) et sans l’imprimerie (Johannes Gutenberg), pas de journaux ni de manuels scolaires à grand tirage, incubateurs de la démocratie et l’éducation.
La découverte de l’électricité (Thomas Edison) et celle du moteur à explosion (Carl Benz) ont conduit au téléphone, au télégramme, à la radio, la télévision, le train électrique, la voiture, le camion et l’avion. Les bénéfices sont évidents et certains. Aujourd’hui, on parle plus de l’innovation que de progrès et pour cause, on innove pour innover sans que cela apporte un avantage substantiel aux humains.
La dernière génération d’un smartphone n’a pratiquement rien de plus que les versions précédentes et pourtant, nous achèterions poussés par ce consumérisme anarchique et aveugle, sans pour autant que cela ne nous rende ni plus heureux ni plus libres. Nous sommes cernés de tout bord d’objets connectés, on estime qu’en 2022 il y avait plus de 14 milliards d’objets connectés dans le monde aux dépens de notre liberté et de notre intimité. L’intelligence artificielle pénètre jusque dans nos chambres à coucher et divulgue ce qu’on mange, comment on vit et avec qui.

Faut-il s’en inquiéter ?
La mutation humaine est en route et la machine est presque aux manettes. Nous sommes déjà demain et demain est humainement incertain. J’entends bien ceux qui doutent. Ce sont à mon avis des esprits fermés. Personne n’a cru les frères RAIT lorsqu’ils allaient entreprendre leur premier vol commercial à bord d’un prototype d’avion qui ne cessait de se cracher à chaque essai, et pourtant entre ce moment et l’envoi d’un satellite dans l’espace, il ne s’est passé qu’une cinquantaine d’années. Je me demande si cette course folle de l’innovation pour l’innovation, sans moyens de régulation, sans une réflexion responsable conduite dans la sagesse et la pondération est réellement favorable aux hommes, si la technologie contribuera vraiment au bonheur des humains et si le projet transhumain qui nous fera vivre longtemps et en bonne santé est vraiment propice à l’humanité.

Vous êtes de formation scientifique, d’ailleurs vous êtes chirurgien, comment est née votre passion pour l’écriture ?
Rien ne me prédisposait à écrire. À la maison de mon enfance, nous n’avions ni livre ni sculpture ni toile de maître, seul un vieux tourne-disque chantait indéfiniment les classiques arabes. Catherine, ma voisine d’enfance, m’a fait découvrir «Le Petit Prince» de Saint-Exupéry. J’étais tombé amoureux des deux. Catherine est partie et la lecture m’est restée comme une passion. J’aime les mots et leur agencement juste, j’aime la musicalité des phrases bien construites surtout lorsqu’elles expriment une idée vraie. J’ai toujours gribouillé sans jamais relire. J’écrivais pour moi sans prétention aucune. Se proclamer écrivain ou même auteur en ce moment me semblait une imposture, car lorsqu’on n’a pas la hauteur esthétique d’un Proust ou d’un Chateaubriand, il faut être soit fou, soit insolent pour oser une telle audace. Je ne suis pas insolent. Comme la vie est faite de rencontres, là encore une fois, on a fini par me convaincre de publier le premier roman. Les autres ont suivi comme par enchantement.

Quel regard portez-vous sur le secteur de l’édition et du livre au Maroc?
Nous sommes à un stade embryonnaire et la gestation se déroule bien. Le nombre d’auteurs est en augmentation constante. La qualité de certains écrits est au rendez-vous. Les éditeurs en majorité sont dévoués à leur travail et font ce qu’ils peuvent pour produire bien et beaucoup malgré les difficultés financières et structurelles qui entravent leur travail. Le ministre actuel de la culture est à l’écoute et affiche une volonté ferme pour le développement de la culture dans notre pays. Reste aux lecteurs de lire les auteurs marocains pour encourager, faire le tri entre le meilleur, le bon et le moins bon afin de participer activement à une production de qualité et à l’épanouissement du secteur. Le monde littéraire marocain est en ébullition, le dernier Salon du livre organisé à Rabat était une réussite incontestable, la littérature itinérante qu’organise mon amie Nadia Salmi est à sa quatrième édition et se porte très bien. Au cours de cette semaine, le Festival du livre africain de Marrakech jette le pont entre la culture marocaine et celle du reste de l’Afrique sous l’impulsion de notre ami Mahi Binebine et de Younes Ajarrai.

Préparez-vous d’autres œuvres ?
L’idée est en train de germer. Elle attend le printemps pour éclore et au deuxième printemps j’espère qu’elle rencontrera le public.

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