Culture

Le dernier voyage de Moulay Hassan

© D.R

Son trône était dressé sur un cheval. Le Sultan Moulay Hassan a sillonné si bien le Royaume qu’il semble avoir dirigé le pays à califourchon sur un cheval. En vingt ans de règne, il a entrepris 19 expéditions, n’épargnant aucune région du Maroc. C’est son ultime voyage, le plus périlleux aussi, qu’un professeur d’Histoire contemporaine à Rabat, Amina Aouchar, nous relate dans un livre passionnant. Le sultan Moulay Hassan entreprend en 1893 “accompagné de la cour, du gouvernement et de la plus grande partie de l’armée, un long voyage qui le mène de Fès au Tafilalt et du Tafilalt à Marrakech“. Ce voyage dure six mois. À l’époque, le Royaume était convoité par de nombreuses puissances coloniales. Des instructeurs étrangers sillonnaient le pays, dressaient des cartes, préparaient avec application l’inéluctable marche des troupes étrangères. Le Sultan, qui avait vainement essayé de moderniser le pays, par l’introduction de machines modernes dans l’imprimerie ou la minoterie, n’a pas tardé à comprendre que le retard accumulé par le Royaume était insurmontable, et “que le salut de son pays ne pouvait venir que de la fidélité aux traditions“. Il est donc parti en voyage, d’une part, en vue de se ressourcer dans la terre de ses ancêtres, située dans le Tafilalet. L’Algérie française menaçait d’étendre son territoire jusqu’au tombeau de Moulay Chérif. D’autre part, le Sultan tenait à affirmer sa souveraineté sur les régions parcourues, repoussant ainsi les velléités de sédition. En cinq chapitres, respectivement : la traversée du Moyen Atlas, les étapes en haute Moulouya, à travers le haut Atlas oriental, la Mhalla du Tafilalt et le retour, Amina Aouchar nous fait suivre pas à pas la progression du cortège. Dans son écriture, elle exploite l’une des formes les plus attachantes des livres d’Histoire : le récit. Sa narration nous fait éprouver, dans le détail de la description, les difficultés éprouvées par la caravane. Il faut rappeler qu’il n’existait pas en 1883 de routes carrossables, et encore moins de ponts. C’est à de grandes pistes cavalières, des reliefs escarpés, des montagnes infranchissables que le corps de l’expédition a été confronté. On entend par-ci le hennissement d’un mulet vaincu, par-là l’affaissement d’un dromadaire qui n’en peut plus, plus loin le son aigu du fouet contre le flanc d’un cheval récalcitrant. On sent la fatigue des hommes, on comprend leur doute de revoir un jour Fès. On saisit leur désespoir devant l’intransigeance de la géographie. “Et ces montagnes massives, qui se succèdent indéfiniment, l’une masquant l’autre, leurs sommets scintillant sous les plaques de neige gelée, et ces chemins qui n’en finissent pas de monter, monter. Et le froid, un froid si intense qui anesthésie les mains et les pieds, qui fait saigner les lèvres gercées.“ L’intérêt de ce livre, c’est qu’en même temps qu’il est scrupuleusement documenté, et très académique du point de vue de l’appareil critique et des notes de bas de page, il se lit comme un roman. Ce n’est pas d’ailleurs l’unique intérêt du “Voyage du Sultan Moulay Hassan au Tafilalt“ – ouvrage à répertorier dans la catégorie cinq étoiles des Beaux livres. Il fera de nombreux amateurs parmi les bibliophiles. Il est somptueusement illustré. Le fonds iconographique, constitué de peintures, de dessins, d’estampes et de photographies, provient de sources variées. Des musées internationaux, revues anciennes comme “L’illustration“, la Bibliothèque Royale de Rabat et la Bibliothèque Générale de Rabat. En plus de l’iconographie de l’époque, un photographe, Franco D’Alessandro, a fixé les paysages du parcours de la caravane. Ces composantes attestent le grand soin que l’éditrice Ileana Marchesani a mis dans la fabrication de ce livre. La typographie est au demeurant très élégante et la couleur dorée des en-têtes de chapitres rappelle les enluminures. Seul hic, c’est que ce soin se répercute sur le prix de l’ouvrage : 1200 DH ! Ce beau livre n’aurait pu exister sans le parrainage de la BMCI. Des livres de cette qualité paraissent, parce que des institutions le leur permettent. C’est bon à rappeler. Quant au Sultan Moulay Hassan, l’auteur du livre en a fait un personnage à la fois vivant et très attachant. Cet homme “pragmatique, curieux, fasciné par l’arithmétique, la chronométrie, les techniques“, n’a pas survécu à ce voyage. Il s’éteint début 1894 sur le chemin de Fès.

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