Le public casablancais a eu affaire à plus fou que lui. Il est très difficile le très large public qui remplit tous les soirs l’esplanade de la place Mohamed V. Il ponctue les moments de silence par des phrases qui feraient rougir même des personnes à la piété douteuse. Il n’hésite pas à adresser des invectives aux artistes qui n’ont pas le sens du rythme. Il improvise des chansons pour intimider les concertistes. Lorsqu’un présentateur, invoquant tous les saints de la terre et distribuant des louanges excessives « au public casablancais, le meilleur dans le monde », pour prévenir ses insultes, a parlé d’un groupe qui s’appelle « Momo », la réplique a été immédiatement trouvée. « Nini ya momo… » (Dors, dors Bébé jusqu’à ce que notre souper soit prêt….) ont scandé des milliers de voix ! Pour endormir le groupe Momo, il fallait bien plus qu’une berceuse. Et les spécialistes de l’agitation, parmi les personnes présentes au concert de samedi soir, l’ont vite compris. Au physique, le leader de la formation établie en Angleterre est à tous égards déconcertant. Tout en lui dénote la subversion. Son buste est revêtu du haut d’une djellaba, tandis que ses jambes sont enveloppées dans un pantalon de sport. Il en ressemble à un Barbu dont la djellaba se serait écourtée après une séance de lavage ! Il porte de surcroît une coiffe très largement mise à la mode par les islamistes. Son crâne rasé et sa barbichette garnie sont la marque des illuminés. Sur sa coiffe, deux lunettes de soleil impriment une note inhabituelle à la nuit. En entrant sur scène, Lahcen a mis le capuchon de sa djellaba sur sa tête, caché ses yeux derrière les lunettes noires et convié le public « à sauter très haut jusqu’à se suspendre dans l’air ». En cela, il était aidé par deux musiciens : un guitariste et un arrangeur de sons électroniques. La musique a immédiatement déstabilisé le public. Les sons sont occidentaux, modernes, tenant du rap et la techno, les mots et les mélodies sont empruntés à de vieux tubes marocains. « Dour Biha Ya chibani» a été interprétée dans une version rap qui la transforme complètement. « Marsoul el Houb » de Abdelouaheb Doukkali a été chanté d’une façon dont il serait curieux de savoir l’accueil que lui aurait fait son compositeur. Lahcen ne se contente pas de chansons diffusées dans la radio. Il déterre des chansonnettes pour enfants, faisant partie du patrimoine oral, et qui ont agréablement surpris plusieurs personnes présentes. « Un, deux, trois. Ton père est parti à Sbata… » a été interprétée dans la pure tradition du rap britannique. Ce chanteur-percussionniste ponctue d’ailleurs régulièrement les chansons par des bruits de la rue : « Jabiil ! », « Maticha ! ». Il grimace, danse en imitant la nage de la brasse. Il est en soi un spectacle. ! Le public, qui voulait absolument avoir le dernier mot, et qui était enchanté par le côté disjoncté de cet artiste, l’a réclamé à la fin du concert par ces mots « Oua Lmsati ! Oua Lmsati!» Celui qui a été pourtant qualifié de fou est très apprécié en Angleterre. Momo, « Music of Morocain Origin », est né au festival Womad « World of Music and dance », initié par Peter Gabriel. Au premier essai, cette formation a connu un grand succès en remportant le BBC Award pour « l’idée la plus originale ».Et justement, ce qui fait l’intérêt de cette formation, c’est la fantaisie de ses interprétations. Et tout particulièrement de son fondateur, Lahcen, installé à Londres depuis 1987. Sa note de folie est tellement vivifiante qu’elle fait oublier l’excellente interprétation du groupe qui l’a précédé : Chalaban.