Culture

Le MUR dans ses murs

© D.R

Mercredi 8 novembre. Le soleil va bientôt se coucher sur la rue d’Abidjan, quartier de l’Océan, à Rabat. Au numéro 3, le siège du mouvement «Attawhid wal’Islah» (unicité et réforme, plus connu sous les initiales MUR), matrice originelle du Parti pour la justice et le développement (PJD), un groupe de militants se prépare à participer à la manifestation devant le siège de l’ONU. On teste les mégaphones, on finit de confectionner les banderoles, on passe en revue les slogans : tout est prêt pour aller conspuer Israël et les Etats-Unis en signe de solidarité avec le peuple palestinien. C’est alors que retentit l’appel à la prière du Maghreb, qui vient souligner la démarche foncièrement religieuse des militants du mouvement.
Nous retrouvons Iliass Ronda, vingt ans, deux mégaphones en bandoulière et militant du MUR, sur le trottoir de l’immeuble occupé par un pool d’agences onusiennes. A ses côtés, des membres de l’OREMA, l’association éstudiantine créée dans l’orbite du mouvement (ALM n°1272). La manifestation se met en branle, méthodiquement nourrie de slogans enflammés. Avec en point d’orgue l’appel au refus de reconnaissance d’Israël.
Ce qui n’empêchera pas Iliass de se demander, plus tard, en réponse à la question d’un journaliste, si ce refus de reconnaître une entité que l’on combat est logique, raisonnable et pour tout dire efficace. Ce à quoi il répondra, après mûre réflexion : non.
Il demeure que le MUR faisait valoir ce soir-là l’une de ses lignes d’orientation, qui consiste à affirmer que «le peuple marocain est un peuple musulman faisant partie intégrante de la Oumma islamique (….) Quand bien même les musulmans se différencieraient du fait de l’éloignement géographique, de la multitude des langues et dialectes qu’ils parlent ainsi que de leur diversité ethnique, ils sont unis par les liens de la foi et de la fraternité islamique…» et ce, souligne le dépliant (en français) réalisé par le mouvement, en vertu du verset 10 de la Sourate «Al Houjourat» qui révèle que «les croyants ne sont que des frères».
Les murs du MUR apparaissent ici comme ceux de la Oumma, ce qui fait dire à Iliass qu’il n’avait encore jamais abordé l’action de son mouvement sous l’angle de la dilution de l’entité nationale dans l’ensemble des peuples islamiques mais qu’il se déclare prêt à y réfléchir.  Cette idée d’un islam transnational dont le centre de gravité se trouverait au Maroc figure d’ailleurs dans le communiqué final du troisième congrès du Mouvement, qui se tenait dans l’enceinte du théâtre municipal de Mohammédia les 4, 5 et 6 novembre dernier (ALM n° 1280). Le communiqué se félicite en effet de la confirmation par les hôtes du congrès que «l’expérience du MUR est un prolongement naturel de la richesse civilisationnelle islamique du Maroc, qui a inspiré au fil de l’histoire des dirigeants et des mouvements de réforme dont l’influence a dépassé le Maroc pour s’étendre vers le sud en Afrique et vers le nord en Andalousie» Il faut voir là, sans doute, une évocation de la dynastie Almohade, qui avait fait du «tawhid», c’est-à-dire la proclamation de l’unicité de Dieu, le ressort principal de son entreprise de conquête du pouvoir.  Les militants du MUR s’annoncent-ils comme les nouveaux mouwahhidine ? La comparaison fait sourire Saâd Loudiyi, qui fut jusqu’à ce troisième congrès responsable de la communication du mouvement et qui admet bien volontiers que le MUR a souvent du mal à se faire comprendre. L’occasion pour lui de réaffirmer ses vérités premières, en renvoyant au dépliant publié à cet effet, qui explique qu’«unicité et réforme est un mouvement de prédication et d’éducation, qui se base sur la démarche suivie par la tradition sunnite et par la majorité de la communauté musulmane. Il opère dans le domaine de la prédication islamique, en terme de croyance et de législation, de valeurs et d’éthique, en vue d’une mise en application des préceptes de l’Islam à tous les niveaux». sachant que, précise l’argumentaire, «notre société est (…) musulmane malgré les défaillances constatées tant au niveau individuel qu’institutionnel [et que] ces défaillances requièrent des remèdes appropriés, moyennant un effort collectif mobilisant toutes les parties».  C’est pourquoi, lit-on en conclusion du premier chapitre du dépliant de présentation des orientations et options du mouvement, le mouvement «compte sur la coopération avec d’autres organisations et institutions dans ses actions de prédication, d’éducation et de mise en œuvre de la réforme de la société». Nous voilà fixés.
Quant à ceux qui, profondément convaincus du bien-fondé de ce projet de société, se demanderaient comment faire passer le message, le mouvement leur en fournit les moyens: le verset 2 de la sourate Al Maïda «Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entr’aidez pas dans le péché et la transgression» ainsi que le verset 71 de la sourate Attawba : «Les croyants et les croyantes sont alliés les uns des autres. Ils commandent le convenable et interdisent le blâmable».
Voici donc, armés pour ainsi dire de la puissance des injonctions divines, les militants du MUR invités à faire œuvre de réforme sociétale. Ce qui fait dire en substance au jeune Iliass, dont l’engagement militant n’empêche pas de s’interroger sur les limites de son action, qu’il est certes malaisé de tracer une limite à ce travail de prédication voire d’invitation au repentir sachant qu’après tout, Dieu seul décide en dernier ressort de qui sera touché par le repentir et qui ne le sera pas…
Quoi qu’il en soit, le MUR n’en réaffirme pas moins «sa totale et complète adhésion à la Chari’a islamique, contenue dans le saint Coran et dans la tradition du prophète et appelle à en faire la source première et suprême de législation au Maroc» Et ses dirigeants ont beau préciser, comme pour rassurer, que « la Chari’a ne se limite pas à une série de sanctions pénales, qui ne représentent qu’une infime partie du système pénal islamique (…)» mais que cette notion «englobe la fortification de la foi, la généralisation de la bonne conduite et des bonnes mœurs, l’établissement de la justice, la répartition équitable des ressources, le règne de l’ordre public et le bon traitement des gens du Livre», il apparaît que c’est vers une constitution d’essence coranique que tend le système ainsi développé et que son caractère totalitaire n’est donc plus à démontrer.
Islam totalitaire ? Oui, répondent les militants du MUR, dans la mesure où, se défendent-ils, il n’est pas possible de demander à un musulman, vivant qui plus est dans un état musulman, de se contenter de vivre sa foi à l’intérieur des murs d’une mosquée ou d’un domicile privé: l’Islam doit s’imposer partout, revendiquent-ils. Mais un islam, précisent-ils, promu par un mouvement «basé sur la modération et le juste milieu, qui refuse le fanatisme religieux (…) et s’engage à n’utiliser que les moyens légaux et pacifiques pour toute action ou toute position, dans le respect de la Constitution et des dispositions légales en vigueur dans notre pays».
Projet politique ? L’articulation fonctionnelle du MUR et du PJD  (ALM n°1274) est à apprécier sous cet angle. Quant à la distinction organique des deux entités, elle permet de toute évidence de contourner les interdits de forme établis par la nouvelle loi sur les partis politiques. C’est ainsi que les dirigeants du MUR revendiquent la spécificité de leur mission de prédication, d’éducatikn et de formation, laissant au PJD le soin d’agir sur le plan politique, notamment en concrétisant par des textes de lois les mutations sociales induites par ce travail de prédication, voire en les précédant…
C’est du moins ce qui ressort de la déclaration de Mohammed Hamdaoui (ALM n°1247), réélu président du Mouvement, qui précisait, lors d’un entretien accordé au quotidien Attajdid (numéro spécial consacré au dix ans d’existence du MUR publié en marge du Congrès), la distinction entre les sphères d’intervention respectives du MUR et du PJD. Tout en rappelant que sur certains sujets, relevant traditionnellement de la sphère politique telle l’éducation islamique, le MUR s’autorisait à se prononcer publiquement, c’est-à-dire politiquement, dans la mesure où ces sujets concernent l’avenir de la société. M. Hamdaoui revendique ainsi la légitimité de son mouvement, en précisant que le MUR inscrit son action dans le cadre de la politique de réorganisation du champ religieux engagée par les pouvoirs publics, en tant que partenaire tout désigné. Une déclaration assortie d’un hommage vibrant rendu au corps des Ouléma, qu’ils soient membres du MUR ou pas, pour leur rôle dans l’encadrement religieux des citoyens majoritairement musulmans.
C’est forts de cette aura de légitimité, fondée sur des données tant historiques que sociologiques, que les militants du MUR se défendent d’instrumentaliser la religion à des fins politiques, et ce en dépit de tous les indices contraires. Reste, pour ceux qui prétendraient contester le modèle de société ainsi mis en œuvre par les militants du MUR, à lui opposer, sur le terrain, le même niveau d’efficacité et de foi, c’est le cas de le dire, dans leur projet.

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