Culture

Le mystère de Tanger revisité

Tanger, Tanga, Thymiathérion, Tinjis, Tanja, Tankher, Tangier, Tangeri. Ville aux noms où sont inscrites de nombreuses civilisations. Ville mythique, puisque son origine remonterait à un coup d’épaule avec lequel Hercule a disjoint Gibraltar de Jbel Moussa. Ville à l’attrait certain sur les écrivains et les artistes. Ville au passé doré que les nostalgiques des maisons de jeu et des soirées mondaines évoquent encore. Ville qui a chatouillé la verve d’écrivains comme Paul Bowles, Juan Goytisolo ou Mohamed Choukri, sans que ces derniers n’en percent le mystère. La promenade dans Tanger nous est proposée par deux natifs de cette ville. Le premier, Rachid Taferssiti, est l’auteur des textes ; le second, Rachid Ouettassi, est le photographe de la ville. Rachid Taferssiti a écrit un texte honnête sur Tanger. Il a brossé une histoire de la cité, avant de s’arrêter sur ce qui en constitue le charme. L’histoire de la ville est agrémentée par les souvenirs personnels: «Je me rappelle que lorsque mes parents m’emmenaient en pique-nique sur cette place, il y avait des fous qui étaient enchaînés autour de ce mausolée».  Rachid Taferssiti est également l’auteur des commentaires des photographies du livre. Ces commentaires juxtaposés aux photos s’intéressent à l’endroit reproduit, et jamais au médium qui le donne à voir. En d’autres termes, l’auteur s’attache au lieu et non pas à sa reproduction dans une photo. Ce qui est très curieux dans une publication que l’on répertorie dans la catégorie «Beaux livres». L’on sait que c’est la photographie qui constitue le principal attrait de ce genre de livres. Or, dans son commentaire, Rachid Taferssiti nie le travail du photographe. Bien plus, il l’assujettit complètement au texte, le réduit à une fonction servilement illustrative. Les photographies de Rachid Ouettassi s’en confondent avec un documentaire.  Il ne s’agit pas de dire que le texte devrait être dépendant de l’image, mais de retrouver une électricité de sens entre les deux modes d’expression, ne serait-ce que pour souligner par l’écrit la valeur esthétique de la photo. Rachid Taferssiti se jette toujours sur le lieu, en explique les particularités, en donne l’historique, mais ne se préoccupe pas de la valeur des images. Lorsqu’il parle de «Sour del Me’egazine» (le mur des paresseux), il écrit: «Au début du XXe siècle les Jbalas avec leurs mulets chargés des produits de la campagne y faisaient escale. Ils s’asseyaient sur le petit muret longeant le sentier, face au Détroit, pour se reposer avant de continuer leur chemin vers la grande place du marché (…) De nuit et par temps clair, nous pouvons voir clignoter les lumières de la côte espagnole depuis le Sour Me’egazine». Dans son commentaire, l’auteur ne se réfère à aucun moment à ce que ce mur représente aujourd’hui pour les Tangérois. Le photographe s’y intéresse en revanche. Dans sa photo prise la nuit, on voit plusieurs jeunes adossés contre une ceinture en fer forgé. Ils tournent le dos aux côtes espagnoles pour regarder les passants dans le boulevard. Le photographe a fixé ce mur tel qu’il est aujourd’hui; l’écrivain en parle tel qu’il a été. Un décalage naît de ce manque d’interdépendance entre l’image et le texte.
Pourtant, il y a fort à dire sur les photographies de Rachid Ouettassi. Une bonne partie d’entre elles ont été prises la nuit. Le photographe a su tirer parti des éclairages des lampadaires et des projecteurs pour introduire une ambiance digne d’une scénographie. Ces photos prises de nuit conviennent d’autant mieux à cette ville qu’elle a la réputation d’attirer les noctambules. En plus, cet effet scénographique suggère que le lieu photographié sera le théâtre de quelque chose.  Rachid Ouettassi a multiplié à cet égard les effets de flou. On peut rarement déchiffrer un visage dans ses photos. Comme pour dire : peu importe les visages que l’on y rencontre, Tanger gardera toujours intact son cri de sirène auquel succombent les hommes.

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