Culture

Le système de l’arabisation, entre sympathisants et opposants

© D.R

Parmi les témoignages recueillis par ALM, ceux de jeunes ayant décroché leur Bac pendant l’année 1999, et qui sont considérés comme la première génération de bacheliers notamment scientifiques arabisés. Karim, 37 ans, voulait suivre une formation d’infographiste. Il a eu un Bac sciences math. Il s’inscrit dans une école d’infographie, qu’il quitte quelques semaines après, car pour lui, c’était impossible de suivre. Avec beaucoup d’amertume et d’ironie, il déclare: «Mes parents ont tout sacrifié pour m’inscrire dans une école privée où malheureusement tout était enseigné en français. Nous sommes les «élus» d’une expérience ayant bousillé et entravé pendant des années, la construction de notre avenir. Nous avons servi de premiers cobayes à cette fameuse politique d’arabisation. Ce n’est que 10 ans après que j’ai réussi à décrocher un travail dans un laboratoire et jusqu’à présent je continue de souffrir de ma formation arabisée».
Le même problème d’intégration dans le monde du travail, s’est posé pour Hakima, 36 ans, infirmière depuis cinq ans dans une clinique à Rabat. Après avoir décroché son Bac, elle voulait s’inscrire dans la Faculté des sciences et précisément dans la branche biologie. «On avait une matière traduction, et sincèrement, même le prof ne comprenait que dalle. J’ai fini par quitter la Fac et j’ai passé un concours d’infirmière que j’ai décroché difficilement». La majorité des personnes interrogées, ne s’opposent pas  à l’enseignement de la langue arabe en tant que langue autonome, mais plutôt à cette schizophrénie dont souffrent les étudiants issus du système de l’arabisation et qui a des conséquences néfastes sur leurs études universitaires. A la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca, un professeur, préférant garder l’anonymat, déclare : «J’enseignais la terminologie pour les étudiants de droit. Ils avaient beaucoup de mal à passer de l’arabe au français. Pour eux, c’était un double effort à effectuer». D’après les témoignages de certains professeurs universitaires, les matières scientifiques ne devaient pas être enseignées en arabe. Car, expliquent-ils,  dans un monde où la mondialisation gère et règne sur toutes les cultures, les jeunes ont besoin et ont le droit d’accéder au savoir par différentes voies, à travers différentes langues. «Nous ne sommes pas obligés de tout arabiser pour défendre ou préserver notre culture et notre identité. Il faut penser en terme de nombre de personnes pouvant accéder au savoir universel moyennant la langue arabe», déclare Rédoine professeur d’histoire et de géographie dans un lycée à Casablanca et d’ajouter : «J’ai deux garçons. Ils ont eu leur Bac et ils voulaient partir en France pour faire leurs études universitaires. L’aîné voulait faire médecine. C’était quasiment impossible. Il est parti effectivement en France, mais a fini par trouver un boulot décent avec un rêve à jamais brisé. Le système de l’arabisation freine les compétences surtout scientifiques de nos enfants. On a l’impression que ce système est une sorte d’entrave voulue faite aux enfants du peuple pour qu’ils ne percent pas». Nombreux sont également les parents ayant déclaré être carrément contre ce système de l’arabisation. Hassan, conseiller psychologique,  père de trois enfants de huit, onze et treize ans, affirme avoir énormément de problèmes à suivre et aider ses enfants à faire leurs devoirs : «Je fais partie du système de l’avant arabisation. J’ai étudié les matières scientifiques en français. On avait un très bon prof d’arabe. On était de parfaits bilingues. Nos enfants sont pareils à ce corbeau qui voulait imiter la marche de la colombe et qui a fini par perdre la nature de sa propre marche. J’ai énormément  de difficultés à aider mes enfants à préparer leurs devoirs de math, de physique ou de l’algèbre. Ce sont finalement mes enfants qui font l’effort colossal de m’expliquer en français certains termes scientifiques. C’est infernal». Concernant les concours d’accès, après le Bac à des instituts ou grandes écoles, les témoignages ont été poignants. La majorité des personnes interrogées affirment avoir raté leurs concours souvent en français. «Je voulais faire une école d’architecture, j’étais forte en math, mais le concours était en français. Je n’ai pratiquement rien pigé», déclare Halima, professeur de math, depuis deux ans dans une école enclavée dans la région de Tétouan.
Ne remarque-t-on pas aujourd’hui que l’élève moyen marocain ne semble maîtriser ni l’arabe ni le français?
«Une grande majorité de nos enfants ont du mal à parler, à lire ou à écrire un texte de 20 lignes», constate Amina, professeur d’anglais et mère de deux filles.
Comment a-t-on pris la décision d’arabiser l’enseignement scientifique au niveau primaire et secondaire tout en maintenant le français au niveau universitaire? Comment les jeunes générations puissent-elles s’inscrire dans un monde d’ouverture sur les connaissances, le savoir universel, souvent véhiculés à travers des langues étrangères ?
«Le système de l’arabisation ne risquerait-il pas d’entraver l’insertion normale des bacheliers scientifiques dans l’université», déclare Abdelwahed, pharmacien et d’ajouter «J’ai engagé des étudiants de branches scientifiques en tant que vendeurs de médicaments. C’est une calamité. Il faut leur traduire des termes scientifiques afin qu’ils puissent conseiller les patients. C’est un gros risque… Le système de l’arabisation bâclé de 1986 a sacrifié toute une génération de Marocains».
La langue arabe deviendra-t-elle, un jour une langue de communication internationale? Une interrogation persistait et revenait à chaque fois que la question du pour ou du contre le système de l’arabisation : «Les enfants des responsables, ayant imposé le système de l’arabisation, ont-ils vécu cette expérience?»  

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