Culture

L’Égypte cernée

Ce sont deux écrivains que bon nombre de Français connaissent, certains de leurs ouvrages ayant été traduits. Etoile d’août (aux éditions Sindbad-Actes Sud), Les Années de Zeth (chez Babel), Le Comité ou encore Warda (chez Actes Sud), pour ne citer que quelques-uns de ses romans, suffiront peut-être à identifier Sonallah Ibrahim. Et ceux qui ont lu l’Epître des destinées (Seuil) ou encore La Mystérieuse Affaire de l’impasse Zaafarani, entre autres, reconnaîtront Gamal Ghitany. Que les Etats-Unis accusent l’Irak d’avoir commis de graves omissions dans le rapport sur l’état de son désarmement n’a guère surpris Sonallah Ibrahim . Le contraire l’aurait même étonné.
Pour lui, les Américains sont déterminés à aller à la guerre. « Sinon, à quoi riment ces impressionnants préparatifs militaires, ces 50 000 hommes déployés je ne sais trop où, ces avions, ces navires ? Croyez-vous qu’ils vont leur dire de rentrer ? », interroge-t-il dans un rire.
« -George- Bush n’a-t-il pas maintes fois répété que les conclusions des experts du désarmement ne l’intéressaient pas et qu’il avait tantôt des preuves et tantôt des soupçons, on ne sait plus, qui incriminent l’Irak ?… » « Le monde arabe est cerné de partout, avec toutes ces bases militaires de la Méditerranée au Yémen, en passant par Israël », un pays, dit-il, avec lequel il n’est plus possible de faire la paix. « Hier encore, raconte Sonallah Ibrahim, je recevais trois journalistes américains. Lorsque j’ai posé la question : « Pourquoi donc voulez-vous frapper l’Irak ? », l’une d’entre eux a répondu : « Honnêtement, je l’ignore ! »
L’Irak pas plus que la Palestine ne les intéressaient ; ils voulaient m’interroger sur les islamistes et sur les possibilités de réformes en Egypte, et je leur ai dit : « La première réforme à faire est de nous débarrasser de vous, les Américains ! » (…) Vous ne trouverez pas un seul foyer en Egypte dont les membres ne se sentent pas floués, humiliés par les Etats-Unis et Israël. Mais la police veille à empêcher toute expression de mécontentement ».
Pas question que Sonallah Ibrahim soutienne Saddam Hussein. Entre la répression israélienne en Palestine, l’affaire irakienne et le comportement des pays occidentaux, qu’il juge fourbe, « les gens ont le sentiment que le monde tout entier est contre eux et ils se demandent pourquoi ! Ils savent que ce qui est en jeu c’est le pétrole et la mainmise d’Israël sur la région, qu’éliminer Saddam Hussein et Yasser Arafat sont les deux faces d’une même médaille ».
« C’est aux peuples irakien et palestinien de se débarrasser d’eux s’ils le veulent ». Rédacteur en chef de l’hebdomadaire littéraire Akhbar Al-Adab («Nouvelles de la littérature»), Gamal Ghitany, par ailleurs intime de Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature (1998), clame son hostilité à une intervention américaine pour renverser quelque régime que ce soit, y compris le régime irakien. Après tout, proteste-t-il, la plupart des régimes arabes sont des régimes autoritaires, et les Etats-Unis appuient depuis plus d’un demi-siècle le pire d’entre eux, l’Arabie saoudite, parangon « de l’alliance entre la puissance économique et la forme la plus dangereuse et minoritaire de l’islam, le wahhabisme ». L’évolution de l’Irak, de toute évidence, a été un vecteur important des illusions perdues de Gamal Ghitany. Un pays qui, dit-il, jusque vers le milieu des années 1970 était riche de promesses mais dont « le régime a pulvérisé le pluralisme politique et l’idée même de nationalisme arabe, et fait du parti Baas la formation d’un homme -Saddam Hussein-, d’une famille, d’un clan». Lui, qui a soutenu l’Irak lors de sa guerre contre l’Iran, il dit avoir découvert un peu tard «que la guerre a été conduite dans l’intérêt des Etats-Unis». Que signifient alors, demande-t-il, ces inspections intrusives «humiliantes non seulement pour l’Irak mais pour tout Arabe» menées par les experts internationaux du désarmement, alors même que, aux « frontières de l’Egypte, Israël possède 250 têtes nucléaires ? » « J’approuverais les Etats-Unis s’ils se faisaient les promoteurs d’un plan d’élimination de toutes les armes de destruction massive de la région, dont l’armement israélien, s’ils lançaient un projet de paix réel qui traiterait la question palestinienne avec le même sérieux que le problème irakien ». Et voici que les Etats-Unis prétendent, avec moins de 30 millions de dollars, apprendre la démocratie aux Arabes, ironise Gamal Ghitany. « L’histoire nous a appris qu’aucune valeur imposée de l’extérieur n’entraîne des changements positifs. » Cela pourrait même avoir un effet contraire. Le changement lui paraît inévitable. « L’opinion publique internationale est une force de pression bien plus puissante que les B-52. Une information publiée apporte une plus grande protection que la VIe flotte… »

• Mouna Naïm
(Le Monde du 21 décembre 2002)

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