Le Monde: Pourquoi exprimer maintenant votre colère contre l’Amérique, com-me vous le faites dans le numéro de décembre des Cahiers du cinéma ?
Y.CH. : Je n’ai pas de haine contre l’Amérique, j’aime trop de choses dans ce pays, je n’oublie pas que j’ai été formé et déniaisé là-bas. Mais je suis excessivement en colère contre l’administration américaine. Après les attentats horribles du 11 septembre, c’était bouleversant de voir les Américains sous le choc, ne comprenant pas les causes de ce déferlement de haine. Sans légitimer cette violence, je pense savoir d’où elle vient, mais pas les Américains, puisque leur gouvernement a décidé pour eux qu’ils ne sauront rien de ce qui se passe dans le monde ! Quand Sharon traite Arafat de terroriste, c’est un peu ridicule. C’est lui, l’un des plus grands terroristes de l’Histoire. Si l’on veut la paix, arrêtons d’abord la colonisation, car c’est elle qui provoque inévitablement la violence ! Les régimes arabes ne sont pas démocratiques, loin de là, mais qui donc les soutient contre la volonté des peuples ? Les Américains. Ce sont eux qui ont fait les Taliban, les ont créés et financés, comme s’ils voulaient bâtir un nouvel empire du mal : la menace arabe musulmane !
L’aile radicale du Congrès américain souhaite vivement que le président Bush à la fin de la guerre contre Al-Qaïda s’attaque à l’Irak…
Y.CH. : S’ils le font, ils donneront la preuve qu’ils ont décidé de faire des Musulmans leurs ennemis. Et moi qui ne suis pas musulman, je serai très en colère!
L’industrie américaine du cinéma est appelée à participer à l’effort de guerre. D’après vous, à quoi ressembleront les films de l’après-11 septembre ?
Y.CH. : Je ne sais pas quel genre de films ils vont faire, mais Hollywood soutiendra toujours la Maison Blanche. L’industrie ciné-matographique est tellement protégée et défendue par Washington, que c’est tout à fait normal. Tous les présidents ont exigé, au nom du principe du libre commerce, le droit à l’hégémonie du cinéma américain. Même Bill Clinton était intraitable. La Maison-Blanche défend très bien les intérêts de Hollywood, et Hollywood le sait. Jamais leurs sorts n’ont été aussi fortement liés.»
• Extraits de l’entretien de Youssef Chahine paru dans «Le Monde»