Dans ces demeures où affectueusement et perpétuellement se transmettent les traditions, Hajja Rquiya 74 ans, fière de ses douze petits enfants, se remémore les heureuses traditions de la fête du Aïd Al Fitr avec beaucoup de nostalgie : «Je devais avoir 4 ou 5 ans, lorsque ma mère m’invita à mettre la main à la pâte. Ce fût de longues et joyeuses soirées où se réunissaient toutes les femmes et les jeunes filles de la famille dans une seule maison, une dizaine de jours avant la fête de Aïd Sghir. L’occasion était la préparation, dans la joie traduite par des youyous et des bénédictions sur le Prophète, des multiples recettes de gâteaux traditionnels. Des odeurs de cannelles, de gomme arabique, de clous de girofle, de fleurs d’oranger, de liqueurs anisées, d’amandes et sésames grillés… rafraîchissaient et embaumaient nos petites narines. On se disputait pour porter les plateaux au four traditionnel du quartier ». Aujourd’hui encore, des anges gardiens continuent de veiller sur ces traditions. Virée au milieu des quartiers populaires où les familles continuent d’assurer, de préserver et de transmettre cet héritage. A la veille de la fête Aïd Al Fitr, les ruelles des anciennes médinas pétillent. Et à longueur de journée, le mouvement des va-et-vient au four du quartier ne s’achève qu’à une heure tardive de la nuit. Au début du mois sacré du Ramadan, les ruelles sont inondées des senteurs de «Chabakia» et de «Sellou» recette de grand-mère composée de farine retournée sur le feu, de sucre, de grains de sésame, d’amandes, de beurre, etc.
A l’approche de la fête, ce sont les différents parfums des ingrédients composant une diversité de gâteaux traditionnels. «J’habite la médina de Casablanca depuis une dizaine d’années. Je suis originaire de la ville de Salé. En déménageant j’avais peur de perdre ou de ne pas retrouver certaines traditions de la fête. Mais heureusement, dans le quartier où je réside, ces traditions sont pleinement où en grande partie, préservées. Avec des amies, j’ai réussi à préparer des gâteaux pour ma petite famille. Je ne pouvais pas faire cela toute seule. Nous avons cotisé pour acheter ensemble les ingrédients dont on avait besoin. Chacune d’entre nous a proposé une recette. Nos enfants se faisaient une joie de nous aider en apportant des plateaux au four», Confie Saâdia, 38 ans femme au foyer. Pour Jamal, 47 ans, père de trois enfants, originaire de la ville de Chaouen, habitant à Casablanca, dans un quartier résidentiel où se ressent ce sentiment de « Chacun pour soi et Dieu pour tous », les traditions de la fête sont nettement quasi absentes ou sont carrément remplacées par d’autres, pas millénaire. «C’est rare où vous humez une odeur de cuisson de gâteaux qui vous immerge de manière euphorique, dans les souvenirs de votre enfance. Dans ces quartiers, une grande majorité des femmes, travaillent et n’ont ni le temps ni la patience de préparer elles-mêmes des gâteaux ou des crêpes», regrette Jamal. Dans les grandes villes ces traditions ont malheureusement tendance à disparaître. Elles sont remplacées par d’autres qui commencent petit à petit à s’ancrer dans la société. C’est le temps des achats de gâteaux à la pâtisserie et chacun selon sa bourse. Les femmes se vantent de s’être approvisionnées chez telle ou telle pâtisserie. Ce sont souvent les gâteaux à base d’amandes qui sont les plus convoités.
C’est au creux des anciennes médinas que sont nichées les traditions millénaires qu’il faut penser les sauvegarder et les préserver afin qu’elles ne tombent pas en ruine, enterrant ainsi ces traditions et héritage qui constituent le vecteur d’identité de toute une nation. Dans son sens absolu, la tradition est une mémoire. Elle est un passé mais également un futur, en un mot une conscience collective : le souvenir de ce qui a été, avec le devoir de le transmettre et de l’enrichir.














