Culture

Les drôleries de Tayeb

Je n’ai pas une seule anecdote ramadanienne à vous rapporter, mais trois. Les deux premières ont eu lieu respectivement en Tunisie et en Algérie. La troisième dans la ville où a été signée la proclamation de l’UMA, Marrakech. Nous avions présenté «Mahjouba», d’après «L’école des femmes» de Molière, au festival de Mounastir. La pièce a été très appréciée par le public tunisien. Au palmarès, nous avons été récompensés par un prix. Le ministre de la Culture tunisien, Chadli Klibi, nous l’a remis. Il était étrange ce prix ! Les responsables de ce festival avaient complètement innové en la matière pour le trouver. C’était un trophée, une coupe -une vraie coupe de football ! On récompensait le théâtre comme on récompense le vainqueur d’une compétition sportive! Depuis, je dis à tous ceux qui veulent m’écouter : «J’ai remporté la coupe de Mounastir».
En Algérie, nous n’avons pas remporté une coupe, mais nous avions échappé à des coups. On jouait «En attendant Godot» de Samuel Beckett. Dans cette pièce, il y a un leitmotiv relatif à l’apparition de Godot. Va-t-il ou non venir ? Les Algériens, très fiers de leur récente indépendance, ont interprété l’aléatoire apparition de ce personnage comme une allusion à la révolution au Maroc. Il y avait 800 personnes dans la salle. Et l’une d’elles, sans doute excédée par l’attente d’un événement qui tarde à venir, s’est levée et nous a crié : « Bande d’imbéciles, au lieu d’attendre, faites-là !» D’autres personnes, probablement rompues au théâtre, lui ont répondu : «Tais-toi le vrai imbécile, tu ne piges rien au théâtre». Il s’ensuit une discussion virulente entre les tenants de l’esthétique pure et ceux qui voulaient absolument identifier Godot à la révolution au Maroc. Nous nous sommes abstenus de tout arbitrage. D’autant plus que les esprits s’échauffant, la discussion a vite évolué en rixe générale. Il a fallu l’intervention de 200 éléments de l’armée algérienne pour arrêter les dégâts et évacuer la salle.
Vous savez que je suis également calligraphe ? Oui, et même que j’expose mes oeuvres. L’une des expositions dont je me rappelle le plus a eu lieu à la galerie de la Mamounia à Marrakech. Les gens passaient et jetaient un regard, sans ralentir le pas, sur mes tableaux. Rares étaient ceux qui prenaient le temps de s’arrêter pour regarder mes oeuvres. Mais quelle a été ma surprise en constatant qu’une femme scrutait attentivement chacun de mes tableaux. Elle les regardait de près pour mieux se saisir des détails, revenait en arrière pour avoir une vue d’ensemble.
Aucun artiste ne peut rêver d’un spectateur plus attentif. Aucun artiste ne peut trouver une personne pour rester deux heures à regarder ses tableaux sans en pénétrer le mystère. Oui, cette femme est restée deux heures avec mes calligraphies. Au moment où je m’apprêtais à l’interroger sur le sens d’une curiosité qui étanchait la soif de mon ego, elle est venue à moi. «C’est vous l’auteur de ces tableaux ?» «Oui, Madame», ai-je répondu en bombant le thorax. «Pouvez-vous m’indiquer l’adresse de la personne qui vous fait vos cadres ? »

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