Ce sont pas moins de six fondations d’arts plastiques qui ont vu le jour ces derniers temps au Maroc. Dans les proportions et au rythme où ces fondations se créent, les artistes plasticiens marocains finiront par avoir chacun sa propre fondation ( ! ) A Rabat, il y a la Fondation Karim Bennani ; à Marrakech, c’est le record: Farid Belkahia, Salah Benjkan, ou plus encore Miloud Lebied ont les leurs. Et ce n’est pas tout…A Tahanaout, Mourabiti s’est doté d’une structure du même genre.
Décidément, un nouveau phénomène s’installe au Maroc. Mais qu’est-ce qui explique la multiplication de ces fondations ? S’agit-il simplement de l’appropriation d’une tradition occidentale ou de la volonté d’exploiter une nouvelle source de revenus ? Est-il question d’une quête de grandeur ou d’une nouvelle manière de rendre service à la vie artistique au Maroc ? Une chose est sûre : l’usage veut que ce soient les autres qui créent des fondations pour sauvegarder le patrimoine d’un artiste, ou pour glorifier sa mémoire en cas de disparition. Mais cela n’est pas entendu de cette oreille au Maroc. Chez nous, ce sont les artistes eux-mêmes qui se sont attelés à cette tâche. Moralité : «On ne peut pas bouffer le pain de son biographe».
Soulignons, en passant, que parmi les fondateurs, figurent des artistes appartenant à l’ancienne génération. On pense particulièrement à Farid Belkahia. Dans ce cas, on peut comprendre que ce vieux routier de la peinture ait besoin de se créer son propre petit « musée » pour sauvegarder un patrimoine pictural si riche et si important.
L’ancien président du premier groupement d’artistes plasticiens au Maroc, l’Association nationale des beaux-arts (ANBA), fondée dans les années soixante, n’aurait pas démérité d’un tel acquis, même si ce dernier aurait pu avoir plus de signification s’il avait été initié par d’éventuels mécènes. Dans le même registre, l’expérience de Miloud Lebied, qui a créé sa fondation à 70 kilomètres de Marrakech, revêt une signification particulière. Il s’agit de faire connaître les Beaux-arts à une autre catégorie du public: les habitants de la campagne. Au-delà de cet objectif noble, M. Lebied aurait visé un but autre que la simple recherche de gloire.
Interrogé sur ce point, il nous a affirmé avoir pour seul souci de «faire connaître d’autres artistes», marocains et étrangers compris. En dehors de l’ancienne génération, il y en a qui sont jeunes mais qui ont construit leurs propres fondations. L’artiste-peintre marrakchi, Salah Benjkan, offre ici un exemple frappant. Pourquoi se doter d’une fondation alors que l’on est encore très jeune? M. Benjkane affirme avoir voulu «créer un espace de rencontre et de créativité où l’art noble reste le souci majeur», ajoutant que ce qui l’intéresse au plus haut degré, «c’est rendre service à l’art». Il se revendique ainsi de l’école de l’art pour l’art. Et puis, il indique avoir procédé à un tel acte dans un esprit d’initiative. «Il ne faut pas croire que c’est toujours le ministère de tutelle qui doit construire des espaces d’art, les artistes aussi sont appelés à apporter leur petite pierre à l’édifice», indique-t-il.
Partant de ces explications, on se rend compte de la différence des points de vue. Les réponses varient selon les objectifs des uns et des autres. Il n’en reste pas moins qu’il y a un objectif non déclaré : la quête de gloire. En baptisant les fondations de leurs noms, les artistes cherchent à se forger une renommée. Il s’agit certes ici d’un rêve légitime, d’autant plus que l’art, -et par conséquent les artistes-, est resté longtemps marginalisé au Maroc. «Comme il n’y avait pas d’autres personnes pour reconnaître nos efforts, autant nous charger nous-mêmes de le faire», ironise Miloud Lebied. D’un autre point de vue, il y a une manifestation de signes extérieurs de richesse à travers la multiplication de ces fondations. En effet, la construction d’une fondation exige beaucoup d’argent.
Les artistes plasticiens en amassent beaucoup lors des ventes de tableaux sans payer un rond à l’Etat. Plusieurs d’entre eux ont réussi à accumuler une fortune colossale au fil des expositions. Les fondations leur offrent, par ailleurs, un nouveau filon pour se faire davantage d’argent. Au détriment de plusieurs centaines de galeristes qui en sont réduits à se tourner les pouces. Présentées comme des espaces d’art, les fondations comprennent également des lieux de restauration, des cafétérias, etc. C’est un commerce drapé de l’habit de l’art.