Cela ne s’est jamais vu. Des harragas marocains, qui ont réussi à atteindre Marseille, donnent à voir leurs photos. Elles sont accrochées sur les murs, projetées en diapositives, collées dans des carnets à Marseille. Il y a aussi deux vidéos, des phrases écrites en français et en arabe, des entretiens à lire.
Et puis, au sol, le plan de Tanger – ville où ils sont restés longtemps avant de prendre le départ. Ils y sont restés en attendant le moyen de locomotion qui leur fera faire le grand voyage. L’exposition est captivante. Elle échappe aux standards : pas d’artiste-héros mais des enfants pour certains dans une précarité extrême, analphabètes ; pas d’épreuves magnifiées, mais des îlots de témoignages à butiner.
Donner des appareils à des enfants dans un but socio-éducatif est une pratique devenue si courante en France qu’elle tourne parfois au gadget. Cette fois, c’est différent. Le titre de l’expo intrigue : « Photographier un bout de pain ». Une expression bien de chez nous et qui signifie en français « gagner sa croûte ». En poussant plus loin la symbolique, ce serait, pour ces jeunes, gagner un début d’identité et prendre la parole au moyen de la photographie : se photographier dans son cadre de vie, être actif.
La géographie large de l’exposition lui donne beauté et émotion : confronter le rêve de migration (Tanger) et la désillusion de l’arrivée (Marseille). Elle est le résultat d’une dizaine d’ateliers photographiques (quinze jours à trois semaines chacun) menés, depuis mars 2001, par trois photographes, Yto Barrada, Anaïs Masson et Maxence Rifflet. À une époque où l’Europe n’a pas d’autre obsession que de fermer ses frontières, les acteurs culturels et politiques des pays européens auraient bien des choses à comprendre en prêtant l’oreille au dialogue Tanger-Marseille.
• A.D. (avec Le Monde)