Culture

Les juifs marocains revendiquent leur mémoire

© D.R

L’histoire enseignée dans les écoles est tronquée. Si l’on croit les manuels scolaires, le judaïsme n’aurait jamais existé au Maroc et que notre pays n’a été habité que par des musulmans !
Et pourtant, la présence des juifs au Maroc est vieille de deux millénaires. Des siècles d’une présence qui a largement contribué à l’enrichissement de la culture, de l’artisanat et de la gastronomie nationaux.
Dans le contexte actuel de développement des identités plurielles, il ne serait que bénéfique de remettre les pendules à l’heure et de montrer l’imbrication et la coexistence des traditions juive et musulmane au Maroc.
La coexistence entre ces deux communautés constitue l’un des  ferments de l’identité marocaine. En nous arrêtant sur l’héritage juif, nous ne pouvons que mettre en relief notre propre histoire.
Comment expliquer aux générations actuelles que le judaïsme marocain a toujours fait partie intégrante de notre culture, qu’il a fait partie, tout au long de son histoire, de la vie quotidienne au Maroc  ?
Cette problématique interpelle, depuis longtemps, les communautés juives du Maroc.
Un comité d’une quarantaine d’historiens et d’universitaires a été récemment mis en place par celles-ci afin de réfléchir aux moyens de tordre le cou à certains idées reçues et de faire en sorte que tous les Marocains puissent comprendre que le Maroc d’aujourd’hui est le fruit  d’un travail commun de plusieurs communautés très différentes les unes des autres.
Une visite au Musée du judaïsme marocain permet de s’en imprégner.
C’est dans une rue on ne peut plus anodine du quartier de l’Oasis que se trouve ce musée que ne marque qu’une porte modeste, peut être trop modeste pour un établissement d’une aussi grande importance.
Une discrétion qu’on peut justifier par la volonté d’une telle institution de « passer inaperçue » et de s’« intégrer à la masse » .
Simon Levy, directeur de cet établissement revendique cette « clarification ». Il explique : «Si la vision historique est différente de la réalité, sa portée devient nulle et sans importance». Il n’omet pas de rappeler que le Maroc : «n’a jamais été un pays musulman à cent pour cent et que ceux qui le prétendent connaissent mal leur propre histoire».
Sans vouloir entrer dans une quelconque polémique avec qui que ce soit, il considère que ce travail de mémoire est tout à fait normal. Pour lui, personne ne refuserait de voir l’histoire du Maroc dans sa réalité, ses vérités et ses détails: «Ce ne sera pas inutile que les historiens se penchent sur le passé. Qu’ils combattent les préjugés et les idées reçues accumulées au cours des siècles ».
A la question de savoir si pareille demande avait reçu l’écho mérité auprès des parties concernées. Simon Levy répond avec optimisme : «On parle beaucoup de cette réforme et nombre de journaux en ont traité, ce qui constitue un début prometteur».
L’histoire de notre pays est millénaire. Personne n’a le droit d’en soustraire ce qui fut un modèle de vie commune et de traditions partagées entre des hommes et des femmes de confessions différentes. Dans un passé pas si lointain, la communauté juive était suffisamment nombreuse pour rappeler qu’on pouvait naître marocain et juif.
Le départ massif vers l’étranger des membres de cette communauté dont l’importance dans l’histoire du Maroc dépasse de loin son poids démographique (dans les années 50, 3 % des Marocains étaient de confession juive) a laissé un vide qu’aucun travail de mémoire n’a encore comblé. Certes, il y a des écrits et des lieux de mémoire qui en attestent, mais aucun enseignement officiel n’a mis en relief la symbiose particulière qui a toujours existé entre les différentes communautés qui composent le tissu social marocain. Peut-être parce l’idée selon laquelle l’identité marocaine est le fruit d’une histoire plurielle n’a jamais été suffisamment explicitée dans les programmes scolaires.
Aujourd’hui, 3 000 juifs environ vivent au Maroc, sur une terre où leur présence est attestée depuis l’Antiquité. Mais plusieurs centaines de milliers de juifs originaires du Royaume ont choisi de vivre sous d’autres cieux ; notamment en Israël, en France, en Espagne, en Grande-Bretagne, aux USA et en Amérique du Sud. Malgré cela ils demeurent attachés à leurs traditions culturelles ainsi qu’à la terre de leurs ancêtres.
Leurs pratiques culturelles liturgiques et cérémonielles quotidiennes ou particulières aux fêtes et au Shabbat proviennent aussi bien des traditions fastueuses arabo-andalouses que de pratiques et symboles berbères avec lesquels les premiers juifs, installés au Maroc bien avant l’Islam, se sont familiarisés.
Cette mixité est très manifeste dans l’orfèvrerie. Elle sous-tend aussi certaines cérémonies de mariage.
À Ifrane, appelée jadis Oufrane, une petite synagogue subsiste toujours même s’il n’y reste aucun Marocain de confession juive.
Cette synagogue existe grâce à l’entretien des habitants et à l’aide de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain.
Cette fondation continue son combat contre l’oubli en restaurant les synagogues et autres lieux de mémoire du judaïsme marocain.

Une histoire plurielle

Le judaïsme marocain n’est ni une histoire rose, ni une histoire composée que de pages noires. La réalité est toujours plus complexe que les images d’Epinal. À l’image du Maroc, les communautés juives marocaines ont été plurielles. Leur coexistence dépendait étroitement des régions, des tribus et des espaces partagés. Et c’est justement cette pluralité qui s’est inscrite de manière indélébile dans l’histoire, la mémoire et l’identité marocaines.
Le legs patrimonial en témoigne : musique, costumes, bijoux. Tout ce qui constitue une culture populaire et qui vous renvoie votre propre image. Personne n’a donc le droit de « travestir » l’histoire. Ceci d’autant plus que notre pays est l’un des très rares pays au monde où la vie, le progrès et l’épanouissement ont toujours été conjugués au pluriel..

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