Culture

Les livres de la semaine

« Ishmaël ou l’exil », de Zaghloul Morsy
« Sylvia se redressa, pivota du buste et se pencha sur le visage de Husseyn. La tige de ravenelle entre les dents, elle jouait à lui frôler le front avec la fleurette jaune. Un tumulte de dissonance naissait quelque part, enrobant cette jeune fille arquée sur lui et tout l’univers par-derrière. Des lèvres, il fit mine de happer la fleur. Elle esquiva. » « Ishmaël ou l’exil », de Zaghloul Morsy, est un roman qui met sous la loupe la vie clandestine et tumultueuse de Sylvia, la juive, et Husseyn, l’arabe. Le couple et sa fragilité y sont dépeints avec angoisse. L’histoire se déroule dans le Maroc des années soixante, ses ombres et ses lumières, avec, comme toile de fond, la tragédie israélo-palestinienne, la guerre froide… Le style de description de l’auteur est tellement pointu, faisant dans le détail près, à telle enseigne que l’on se retrouve projeté dans des décors presque familiers. Dix années auront été nécessaires pour l’écrire. Natif de Marrakech en 1933, Zaghloul Morsy a occupé le poste de professeur et directeur du Département de littérature et civilisation française à la faculté des Lettres de l’Université de Rabat, de 1960 à 1967. En 1972, il entre à L’UNESCO, en tant que rédacteur en chef, puis directeur de Perspectives, trimestriel spécialisé dans les sciences de l’éducation, où il publie, notamment, La Tolérance, essai d’anthologie (1974, 1988, 1993). « – Ça fait un moment que je te regardais, tu suais, tu avais l’air tout fiévreux. Tu rêvais, c’est sûr, et-tu-par-lais. – Allons, bon ! Interrogatoire aux aurores. Qu’est-ce que j’ai dit ? Le mal que je pense de toi ? – Tu marmonnais H’anah… ou H’anâne… ou quelque chose comme ça en tordant la bouche. Tu sais que tu es moche quand tu dors ? – Bon ! Et toi la belle à croquer… Tu veux éteindre maintenant ? (…) – Je te l’ai dit, tu ne dormiras point. Il veut dire quoi ce mot ? – Quel mot ? – H’anâne. – Tendresse, sweatheart ! – Tu te fous de moi, on ne rêve pas de tendresse… – C’est aussi un prénom de fille. Assez commun en… calme-toi… en Palestine et je crois aussi chez tes demi-soeurs ashkénazes. Tiens, tiens ! (…) – Nejbedlik moummou di’eynik – Je t’arracherai la prunelle des yeux -, je te le promet ! – Charmante promesse de l’aube : arracher les prunelles de celui qu’on aime ! Ton arabe est délicieux. »
« La nuit dé-masque », de Nabila El Guennouni
Un homme et une femme, dans une pièce, dialoguent de tout et de rien, lorsque pénètre, dans la même pièce, une deuxième femme. Ils seront bientôt rejoints par un deuxième homme. Ce sont là les données introductives de la première pièce, « La nuit dé-masque », de Nabila El Guennouni, qui figure dans l’ouvrage portant le même nom. « – Le premier homme : Il fait très chaud. J’étouffe. – La première femme : J’ai froid. – J’espère qu’il fera frais cette nuit. – Si seulement je pouvais deviner qu’il allait faire frais ! – Et cette jaquette qui m’étouffe ! (il enlève sa jaquette, elle la prend.) – Merci. – Je suis là depuis ce matin. (Un moment de silence) – Je n’aime pas attendre. Je vais partir. (Elle s’apprête à partir.) » « – Ma femme va s’inquiéter. Les enfants vont m’attendre ce soir, en vain. Enfin, une nuit, ça passe vite. – Moi, personne ne m’attend. – Pourquoi avez-vous hâte de partir alors ? – Je ne supporte pas ce silence de mort. – Vous n’aimez pas les enterrements ? – Le pire n’est pas toujours la mort, mais la vie massacrée dans les vivants… au dire d’Umberto. – C’est pour cela que vous ne portez pas le deuil ? – Si seulement la question était une affaire de couleur ! – Une affaire de masque peut-être ? – La vie est un bal masqué où chacun cherche à ne pas se faire reconnaître. – Par l’autre ? – Ou par soi. » Les formules, rivalisant de sens et de significations, tout commentaire ne servirait pas à grand-chose, les répliques parlant d’elles-mêmes. La seconde partie, ou pièce puisque c’est de théâtre qu’il s’agit, où le dialogue domine l’atmosphère, où le dialogue est loi, met en avant Yasmina et Nora ; elle s’intitule « Quand parlent les femmes » et se déroule en un acte unique, dans une gare abandonnée. Journaliste indépendante et dramaturge, Nabila El Guennouni est née à Tanger le 16 mars 1967. Licenciée en langue et littérature françaises, elle a travaillé en tant que responsable éditoriale dans des maisons d’éditions.
Et vous, chat va ?, Philippe Geluck
Pour le Chat, tout va bien ! Ce félin philosophe créé par Philippe Geluck en 1983 s’amuse depuis vingt ans à prendre la logique à rebrousse-poil. Grâce à lui, on apprend ainsi que les Touaregs sont les Schtroumpfs du désert… Vous avez dit « absurde » ? Quand le Chat vend des appeaux pour attirer les ours, ils ne sont même pas troués. C’est normal : comme il dit, « on ne doit pas vendre l’appeau de l’ours avant de l’avoir troué ». C’est malin. Et ça vous fait rire ? Attendez, il y en a d’autres du même acabit. Par exemple, tant qu’à pousser son dernier soupir, le Chat préfèrerait que ce soit le jour de son anniversaire : « Au moins, ça peut aider à éteindre les bougies ». Il est drôle, ce chat-là. C’est le plus fieffé félin de toute la BD. Et drôlement observateur, avec ça. Tiens, aviez-vous remarqué que les tongs, ce sont les strings des pieds ? Non ? Eh bien, le Chat l’avait noté, lui. Tout comme il s’est aperçu, malin comme il est, qu’en achetant deux téléphones mobiles, il allait économiser 50 % sur chaque facture. Pas bête, l’animal ! Et le pire, c’est que son dernier recueil, Et vous, chat va ?, est truffé de remarques, d’aphorismes, de sentences et maximes du même tonneau. Il faut dire qu’il fête ses vingt ans. Alors, pensez donc : il fallait qu’il assure, hein ! Vingt ans déjà qu’il régale son public (de plus en plus nombreux) de sa philosophie toute personnelle, depuis qu’il a effectué ses grands débuts dans les pages du quotidien bruxellois Le Soir, un beau jour de 1983 (remarquez, rien ne nous dit qu’il faisait particulièrement beau ce jour-là. C’était juste pour causer).
« Le feu de bois d’Achoura », de Sonia Ouajjou
Réel plaisir que celui de découvrir un travail accompli dans les règles de l’art. Notamment lorsque celui-ci est destiné à un jeune public. Disons un très jeune public pour faire dans la précision. On ne le dira jamais assez et ça a de quoi mettre du baume au le coeur : le livre dédié à l’enfant est devenu une préoccupation effective. « Le feu de bois d’Achoura » est le genre de travail dénotant d’une certaine affinité, de l’auteur, vis-à-vis de ses destinataires. Sonia Ouajjou a eu l’ingénieuse idée de se raccourcir le chemin. L’on serait tenté de penser que c’est pour faire dans la simplicité. Erreur ! C’est plutôt pour faire dans le raffiné, la dentelle en quelques sortes. Pourquoi chercher ailleurs lorsque notre culture, combinée à notre tradition, regorge d’allégories aussi fastes les unes que les autres ? Ainsi, l’auteur a opté pour s’inspirer de nos us les plus établis. Mais aussi les plus menacés d’extinction. Achoura, ses usages et ses rites seront la facette occupant le premier plan. L’arrière-plan, quant à lui, fera référence à nos caprices anti-écologiques, pour ne pas dire mal-éducatifs. Le feu qui devait illuminer cette soirée symbolique se trouve confronté à notre arrogance envers Dame nature. La plage où le feu gigantesque devait prendre vie est tellement jonchée de détritus qu’il fallait faire appel à une force titanesque pour l’en débarrasser. Or, comme l’histoire se déroule à Tanger, on pouvait facilement recourir aux bons offices du colosse qui logeait dans des grottes limitrophes de la ville. Seulement voilà… « Hélas ! En arrivant devant les grottes d’Hercule, ils n’ont trouvé qu’une vieille dame qui leur dit en ricanant : Hi ! Hi ! Hi ! Cela fait des milliers d’années qu’Hercule n’habite plus ici! » Zut alors ! Il va falloir se rendre à l’évidence. En d’autres termes, mettre la main à la pâte. Les leçons se succèdent à un rythme effréné et les bambins trouveront, assurément, matière à réflexion en parcourant le livre de bout en bout.

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