Culture

Les livres de la semaine

«1973- Présumés coupables», Khalid Jamaï
À travers «Présumés coupables», Khalid Jamaï revient sur le volet des années de plomb, dont il aborde une autre facette, relatant sa propre expérience en la matière. L’auteur entame son ouvrage au moment où il allait faire du journalisme son métier, au début des années 70, après un passage par le ministère des Affaires culturelles. «… Je rejoignis L’Opinion, journal de l’opposition où l’on me confia la responsabilité de la page culturelle. Dans ce «transfert», je perdis la moitié de mon salaire, la voiture de service, le garde-à-vous des policiers et devins citoyen, sous haute surveillance». Khalid Jamaï parle de son premier contact avec les divers aspects du métier où la pression, omniprésente, aux sources multiples, sera sa fidèle compagne, au quotidien. « Exercer dans ce quotidien n’était pas toujours de tout repos. En tant que journalistes, notre liberté d’expression était mise sous haute surveillance par la direction qui veillait à ce que nos écrits soient conformes aux impératifs politiques du parti. (…) Au fil des semaines, des mois et alors que les arrestations, les disparitions se multipliaient et que dans des simulacres de procès, les mots, les couleurs, les idées étaient condamnés à des siècles de torture, de prison, jes pris conscience que tôt ou tard mon tour viendrait, et qu’un jour ou l’autre, je disparaîtrais à mon tour». Seulement voilà, les déboires de l’auteur ne seront aucunement catalysés par ses écrits. Le hasard aura voulu que son photographe, chargé de prendre des photos sur le vif dans la rue, se trouve au mauvais endroit, qui plus est au mauvais moment. Du coup, notre ami se retrouve dans un engrenage qu’il ne manque pas de traiter avec une sorte d’autodérision. La touche d’humour est toujours palpable au bout du paragraphe et c’est plaisant que de le constater. «- Si Khalid
– Oui
– El Maâlem voudrait te voir.
Plus aucun doute. Ils étaient là pour moi. (…) Une porte s’ouvrit, quelqu’un m’ôta la «banda». J’étais au centre d’une grande pièce. J’apprendrai, plus tard, qu’on l’appelait la salle du cinquième étage. Une fraction de seconde et me voilà transformé en ballon que l’on se passait à coups de poing, à coups de pied, à coup de cri : « din mok, tu nous a tenu éveillés toute la nuit». Les coups pleuvaient de tous les côtés. Je n’essayais même pas de me défendre. A quoi cela servirait-il ? Aucune question. Ils se défoulaient d’une nuit blanche passée à m’attendre, moi, leur victime, à me guetter, moi, leur proie. En somme, j’étais puni pour n’avoir pas été à un rendez-vous, dont je n’avais aucune connaissance, avec Shab al hal. «Déshabille-toi». L’auteur flirte cependant avec le frivole dans certains passages. Comme au moment où il se retrouve dans la tenu d’Adam, celui-ci n’hésite aucunement à faire délibérément part au lecteur de l’immensité de ses attributs masculins. «Présumés coupables» relate, entre autres, la mésaventure de l’auteur, ses rencontres intra-muros et les témoignages de ses compagnons d’infortune.
«Espagnols de Casablanca», Margarita Ortiz Macias
«1906. Arrivée à Casablanca de mes grands-parents. Installés Patio de la Palma, ils vivent des jours heureux. La famille s’est agrandie. Eh oui ! Notre douce Adèla, vraiment prolifique, enfante une vingtaine de fois ! Mais elle ne réussit à garder que douze enfants. Sept garçons et cinq filles ! Hélas, le salaire de Pépé n’est pas avenant. On ne roule pas sur l’or chez les Ortiz. Mais on mange à sa faim ! Il a fallu changer de maison. Tout ce monde habite place de Verdun, dans une énorme bâtisse, du moins la vois-je ainsi dans mes souvenirs. C’est une espèce de caravansérail avec une cour centrale, grande, belle, couverte. Quatre famille juives cohabitent avec mes grands-parents». Margarita Ortiz Macias retrace à travers «Espagnols de Casablanca» la vie de familles, comme la sienne, immigrées à Casablanca. Le récit rappelle notamment les moments où le flux migratoire s’effectuait dans le sens opposé au courant actuel des choses. Sur fond de nostalgie, l’auteur remémore des tranches de vie qui font office des plus beaux moments de sa vie. «Ce livre est une contre-proposition à l’émigration marocaine actuelle en Espagne, faite de difficultés et de drame. » À travers cet ouvrage, l’auteur étale la vie de quatre générations d’Espagnoles et les jours paisibles qu’ils ont coulés à Casablanca. Une réalité parfois aux antipodes de ce que vivent les Marocains en terre ibérique. Après une carrière dans l’enseignement à Casablanca, Margarita Ortiz Macias se livre actuellement à de multiples activités caritatives.
«Globalia», démocratie universelle
Le roman se déroule dans la deuxième moitié du XXIe siècle. La planète est devenue le siège d’une démocratie universelle, « Globalia », qui rassemble sous la bannière des droits de l’Homme et des libertés individuelles l’ensemble de l’humanité. Tel est du moins le discours officiel, abondamment relayé par les médias. En réalité, « Globalia » est un archipel de territoires protégés par d’immenses bulles de verre, coupés d’un monde extérieur officiellement constitué de terres sauvages et désertes où la Nature a repris ses droits : « Globalia » est foncièrement écologiste ; on y respecte tous les êtres vivants, animaux ou végétaux. La durée de vie des humains est très longue, grâce aux progrès de la médecine et aux saines habitudes alimentaires. Les jeunes y sont moins nécessaires, et généralement peu aimés. Les guerres ont disparu, grâce à l’éradication de toute culture historique et géographique – hormis quelques résidus folkloriques tolérés dans chaque ethnie. Or, à l’extérieur des zones protégées vivent bel et bien des humains, exclus de la prospérité globalienne… Ils sont réputés très peu nombreux et « terroristes ». La presse électronique fait état régulièrement de bombardements dont les campements terroristes des « non-zones » font l’objet ; et des attentats en zone protégée, de temps à autre, rappellent à la population qu’elle doit rester soudée dans l’idéal démocratique face au danger terroriste. Au nom de la démocratie, chacun est surveillé en permanence, car la démocratie ne saurait exister sans son corollaire sécuritaire. Le héros, Baïkal Smith, est jeune. Contrairement à la plupart de ses congénères, il refuse d’adhérer à la bonne pensée consensuelle. Sa compagne, Kate, est moins rebelle, mais elle est prête à le suivre dans toutes ses aventures. Baïkal entraîne Kate hors du monde sécurisé de « Globalia » – ce qui est formellement prohibé. Jean-Christophe Rufin, né en 1952, médecin, voyageur, est l’auteur de plusieurs essais consacrés à l’action humanitaire et au tiers-monde, notamment dans l’ouvrage collectif Des choix difficiles : Les dilemmes moraux de l’humanitaire. Il a publié, en 1997, L’Abyssin, prix Goncourt du premier roman et prix Méditerranée, Sauver Ispahan en 1998 et Les Causes perdues (sous le titre Asmara et les causes perdues), prix Interallié 1999. Il a obtenu le prix Goncourt 2001 pour Rouge Brésil.
«Fragments d’une genèse oubliée», Abdellatif Laâbi
«Tout dort maintenant
de l’algue au ciel
du monstre à la fourmi
La beauté est en visite
Elle ouvre son sac
sort un à un ses instruments
sa panoplie subtile
cordes
pinceaux
plumes
herbes
cailloux
Elle se penche sur le berceau
Ne fait pas mine de s’étonner
Elle accepte le présent
tel qu’il est
Ne juge point
La tâche est immense
mais elle a le temps
Avec la beauté vient la patience»
«Fragments d’une genèse oubliée» est un recueil de poème fidèle à la tradition de Abdellatif Laâbi. Le non-conformisme du mot, ce style qui porte une touche particulière, ce dialogue tantôt doux et langoureux, tantôt âpre et abrupt ; autant d’ingrédients qui font de cet ouvrage un compagnon fluide et digeste, truffé de poèmes aussi posés les uns que les autres. L’auteur ayant pour coutume de ficeler le tout dans un ouvrage ventilé et léger, le recueil s’avère être un complice plutôt sympathique.

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