Parution
Les Éditions Orion et Sirius publient simultanément la sixième édition du roman à grand succès de l’écrivain et penseur marocain Abdelhak Najib. Il s’agit de l’un des romans les plus marquants de ces vingt dernières années. Un roman désormais un classique de la littérature marocaine et un immense succès critique.
Mohamed Hattab | Poète et écrivain
«On ne devrait lire que les livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ?». Cette saillie de l’auteur du «Procès» convient pour donner le ton à la présentation de la sixième édition de «Les territoires de Dieu» de Abdelhak Najib tant ce roman, déjà un classique du genre, marque, bouleverse, étonne, séduit et nous donne une véritable gifle littéraire. On se souvient qu’à sa parution, il y a plus de dix ans, feu Réda Dalil l’avait longuement présenté en disant ceci : «Ce roman est une giclée de talent». À coup sûr, c’en est un, qui a fait table rase des préceptes anciens de ce que le roman produit en termes de littérature marocaine. Dans ce sens, Yves Chemla, critique et spécialiste des littératures, avait présenté «Les territoires de Dieu» dans ces termes: «Le rythme des phrases, souvent syncopé, la véhémence du ton, la saturation des points d’exclamation, participent à cette construction du récit, qui pourrait se manifester comme parole vaine, bavardage, sans ordre.
Or la composition des séquences participe d’un véritable projet de remise en jeu des attitudes et des postures adoptées par les tenants du pouvoir… Le narrateur crée ainsi la mémoire au fur et à mesure que le récit progresse, comme un théâtre intérieur qu’il actualise par l’évocation de tel ou tel moment, embrayé par une situation, une posture, un mot, un portrait, et surtout par les mots qui confèrent de la clarté à ce qui pourrait paraître énigmatique», peut-on lire dans «Esthétique de la réparation dans les romans de Abdelhak Najib». En effet, tout est bouleversé dans ce roman. Les arcanes dites sacrées du roman sont ici balayées d’un souffle d’écriture qui puise dans une langue puissante sa teneur et ses nombreuses nuances.
Ni intrigue centrale, ni nœud gordien, ni personnages principaux, ni début, ni fin… mais un flux torrentiel d’événements enchevêtrés, de situations humaines complexes, de protagonistes tous comparses de leurs propres existences, avec des passages où la philosophie, la psychologie, le tréfonds caché et inatteignable des uns et des autres devient le sens même de l’écriture romanesque. C’est ce que nous lisons dans une brillante analyse faite par Mounir Serhani, poète, romancier et critique : «Le choix de l’œuvre romanesque de l’écrivain marocain Abdelhak Najib est motivé par une idée simple : c’est un texte qui s’amuse à brouiller les frontières pour en créer une géopoétique vu les éléments flottants qui s’y imposent afin de dépasser les cloisonnements traditionnels installés et établis».
D’un bout à l’autre de ces «territoires», nous sommes face à une écriture au hachoir, avec un jeu des métaphores et des allégories qui arrivent à allier l’inconciliable dans une langue maîtrisée, avec un langage si riche, si profond que nous avons l’impression de lire ici plusieurs registres littéraire allant du poème épique à l’assertion philosophique dans ce qu’elle a de plus rigoureux en passant par la magie du théâtre, l’insaisissable du septième art, avec toutes ces références filmiques dont l’auteur maîtrise et l’histoire et le contenu étant, sans doute, le plus grand critique de cinéma en activité aujourd’hui, avec, sans ambages, cette facilité à restaurer le mythe et l’épopée, à jouer avec l’Histoire et les géographies de l’âme en créant à chaque personnage un territoire physique et mental. C’est ce que nous lisons dans une excellente lecture faite par la psychiatre renommée Docteur Imane Kendili, quand elle précise que «les romans de Abdelhak Najib ont le souffle des Tropiques de Henry Miller et l’acuité érotique du Quatuor de Lawrence Durrell.
L’auteur de «Les territoires de Dieu» nous donne à lire sa propre théogonie à l’instar de Hésiode, avec ses divinités maudites et déchus, ses héros estropiés par la vie, ses légendes urbaines qui bâtissent en filigrane l’histoire de tout un pays. Le coup de force de l’auteur du «Le labyrinthe de l’archange» (un roman époustouflant à tous les égards), c’est de détricoter la trame narrative avec une subtilité unique tout en tissant une autre toile où les personnages jouent leurs vies pour se dépêtrer de leurs destinées».
De fait, dans ce roman, vendu à plusieurs milliers d’exemplaires en une décennie, traduits en cinq langues aujourd’hui, Abdelhak Najib reste au plus près de ce qui fait son univers romanesque, le même qu’il développe dans l’excellent et très actuel «Le printemps des feuilles qui tombent», «Le labyrinthe de l’archange» avec ces 2400 pages et ses quatre tomes, «La dernière guerre du soldat inconnu», «La mort n’est pas un nouveau soleil», «Le baiser de Judas», «La nuit du solstice», «Le gardien du temps», «l’Espion» ou encore le sublime «Ce que le temps doit à la distance», prévue pour janvier 2026, à savoir aller au fond des abysses de la nature humaines pour en extirper le chiendent, pour faire jaillir un filet de lumière au cœur de nos ténèbres. Avec cette constance dans tous les travaux de Abdelhak Najib : n’y cherchez pas le superflu, le futile, l’anecdotique pour rien encore moins des fins heureuses. Ici, nous sommes face à la vie dans ce qu’elle a de vrai, d’implacable, de terrifiant, de beau, mais aussi de laid et de dangereux.
Ici, il n’y a aucune complaisance ni dans le verbe, ni dans les idées, encore moins dans le traitement et la profondeur requise pour appréhender la condition humaine : «le profil du narrateur-personnage reste polymorphe et subtilement insaisissable. C’est un roman à vocation picaresque, une initiation à l’envers, où le sacré se trouve carrément profané et le grossier côtoie le mystique. C’est, encore plus, une plaidoirie au profit des bannis, des exclus et des parias, érigés toutefois en saints et prophètes dans des territoires où Dieu est un grand nonchalant et absentéiste. Dieu, nous dirait le «je» narrateur et personnage, s’abstient d’intervenir dans la misère quotidienne des petites gens, comme s’il n’était nullement intéressé par ce territoire de no man’s land délaissé et délibérément écrasé par cette transcendance écrasante.
Le néant est en effet cette entité récurrente qui se cache cyniquement derrière un malaise collectif sempiternel», comme le souligne Mounir Serhani dans son essai : «La géopoétique de la frontière dans l’œuvre de Abdelhak Najib». Et c’est là toute la force d’un tel roman comme c’est là toute l’acuité d’un tel romancier qui écrit la vie, ses méandres, ses combats, ses échecs, ses doutes, sa beauté, ses espoirs et ses désespérances, sa gloire et ses illusions, son absurde et sa poésie.














