Val de Grâce
Est-ce qu’on me pardonnera d’avoir été aimée à ce point ? se demande la narratrice. Est-ce qu’on lui pardonnera la chance inouïe d’avoir passé les vingt-trois premières années de sa vie au « Val de Grâce » ? Comment oublier 200 mètres carrés dans un immeuble haussmannien, rue du Val de Grâce, au coeur de la capitale ? Comment oublier les odeurs, le toucher d’un appartement dont on connaît le moindre recoin, la moindre éraflure ? Les nombreux meubles, l’accumulation des objets, l’originalité des décors, le papier doré et argenté des murs ? Comment oublier l’enfance heureuse, préservée, qui donne droit à tout : aux confiseries et à la boulangerie à compte ouvert ; à la patience de Madame Jacqueline ; aux rêves de princesses de contes de fées ? Au Val de Grâce, tout devient beau, tout y est magique. Tout paraît éternel. Les enfants ne voient pas le manque d’argent. L’usure, le temps qui passe. On ne leur raconte pas la douloureuse histoire familiale, les parents juifs immigrés fuyant la Shoah. Mais cette histoire a son terme au bout de vingt ans. La disparition de la mère sonne la dernière fête, puis la liquidation du Val de Grâce. C’est l’enfance qui s’en va, les traces des parents, les souvenirs joyeux. Chez soi, en soi, on conserve un mini Val de Grâce, de précieuses reliques. Un jour, alors que la vie est en miettes, on comprend qu’il faut liquider Val de Grâce, le faire revivre une dernière fois pour mieux refermer la porte sur le passé.
Val de Grâce de Colombe Schneck
Éditions : Stock, 2008
Ce que le jour doit à la nuit
L’itinéraire, des années 1930 à nos jours, d’un garçon algérien au destin jalonné par les tragédies. Issu d’une famille de paysans ruinés, Younes est arraché à sa mère à l’âge de 9 ans, puis confié à son oncle, notable d’Oran. Marié à une Française, l’homme rêve d’offrir une vie meilleure à ce jeune et charmant neveu. Rebaptisé Jonas, Younes intègre alors la jeunesse pied-noire de l’Algérie des années 1950. Mais la douceur de son existence sera bientôt troublée par les conflits qui agitent le pays. Porté par le succès des « Sirènes de Bagdad », Yasmina Khadra revient avec « Ce que le jour doit à la nuit». Ce roman-fleuve vibrant et lumineux, sur fond de guerre d’indépendance dans l’atmosphère mystique et sévère de l’Algérie, s’impose comme la saga de la rentrée. On ne peut nier la virtuosité de la prose. Elle dit les heures, les jours, les années avec aisance et décrit avec la même éloquence des paysages d’une beauté époustouflante ou d’une sordide décrépitude. Comme un grand-père conterait ses souvenirs à ses petits-enfants, avec force anecdotes tristes ou heureuses, Younes fait le bilan sa vie.
Ce que le jour doit à la nuit
d’Yasmina Khadra – Éditions : Julliard, 2008
De loin on dirait une île
On s’en doutait depuis ses débuts comme coursier «Nouvelles du Nord », mais la chose, là, devient claire : Eric Holder est un héros de western. Manière d’éperonner amoureusement les paysages, d’humer la tension d’un village en s’invitant dans ses bars, d’en capter le charme par la voix des femmes, de dénicher au repli d’une dune, au recès d’un abribus des figures hors norme, des communautés étranges, de surfer sur la violence d’un lieu, la captant, la déjouant. Sa petite caravane familiale a décidé de se poser en Médoc, à la pointe de la Gascogne, entre Gironde et Atlantique, et tout dès lors de s’organiser selon : aérer le jardin à la faux, mener le fils à l’école, apprivoiser les comptoirs, prendre les natifs au rets d’amitiés vraies, orchestrer les jeux des chats, jouer les paratonnerres souriants.
De loin on dirait une île d’Eric Holder
Éditions : Le Dilettante, 2008













