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Traques

Rejetées du monde ou animées par un besoin de le fuir, quatre vies s’étiolent en marge de la société. Où trouver une place, comment se faire entendre, comment exister, quand on vit «traqués» dans un univers qui se fait hostile? Frédérique Clémençon redonne une parole, et pas la moindre, à tous ces naufragés du monde moderne, qu’ils vivent dans la rue ou dans une maison de retraite, qu’ils fuient la guerre, leur famille mortifère ou leur entreprise. Portée par une écriture souple et virtuose, les récits s’enchaînent avec une fluidité remarquable qui ne dénature pas la dureté du propos. De très beaux passages de rêveries poétiques côtoient des extraits de documents administratifs au cynisme édifiant, comme les bilans sur l’état de santé d’un patient hospitalisé. Entre mélancolie et révolte, le roman se maintient sur la corde raide entre la tentation du vide, de la mort et un souffle de liberté irréductible. Avec «Traques», Frédérique Clémençon donne chair et dignité à des «fantômes» de la société, et soulève sans ménagement des questions lourdes de sens, qu’elles soient politiques, sociales ou même philosophiques.

Susan Sontag est une résistante. Ce recueil d’essais, publié à titre posthume, témoigne non seulement de sa détermination à l’épreuve du temps et de la maladie qui la rongeait, mais aussi d’une fidélité exemplaire à ses engagements politiques. La romancière et essayiste, grande théoricienne de la photographie et de la littérature, figure de gauche emblématique de la contestation aux Etats-Unis, s’est élevée contre toute forme d’injustice. Elle livre dans «Garder le sens mais altérer la forme» un éventail de réflexions sur les grandes causes qui ont nourri sa vie et son œuvre. Intransigeante, perfectionniste, elle y apparaît férue de traduction, fervente lectrice, amoureuse des écrivains russes, appliquée à réconcilier l’esthétique et le sens moral. Mais surtout, dans les textes qui forment le cœur de l’ouvrage, Susan Sontag, l’insoumise, dénonce le patriotisme aveugle à l’heure des attentats du 11 septembre et cette «guerre» impropre lancée contre le terrorisme.

Si «Little Nemo» est désormais reconnu comme le chef-d’œuvre fondateur du 9e art, Winsor McCay reste un auteur dont on ignore beaucoup. Les éditions Delcourt, à travers cet ouvrage superbe, guidé par une fidélité maniaque à la publication d’origine, permettent la (re)découverte de deux autres séries, plus anciennes, du père de la bande dessinée moderne : « Henrietta la Goulue » et « Le Petit Sammy éternue » . Dans ces strips de six cases, McCay dévoile déjà toute sa maîtrise graphique, étonnante et singulière. Les graphismes sophistiqués, parés de couleurs ravissantes, auxquels répond un texte plein de finesse.