Naguib Mahfouz a toujours été visionnaire. Il avait prédit l’avenir de l’Egypte avant l’heure en faisant une radioscopie presque exacte de ce que devait enfanter cette terre comme problèmes, dérives et autres soulèvements des masses. Dans ce roman posthume, nous sommes au milieu des années 1960. Tout se passe dans le café cairote «Al-Karnak».
Une espèce de lieu de rencontres qui réunit plusieurs archétypes de la société égyptienne entre intellectuels désœuvrés, politiciens en herbe, oisifs de tout poil et d’autres mines patibulaires attendant d’aller semer le chaos. Ce café devient du coup une réplique en miniature d’une Égypte en train de perdre ses repères, une Égypte qui ne sait plus quelle voie prendre pour faire face à tant de problèmes sociaux, entre misère, démographie galopante, ignorance,… C’est dans le café Al-Karnak que se réunissent régulièrement trois étudiants, qui échangent de la vie, de leurs rêves et de leurs illusions. C’est là dans ce même café que les destins vont être profondément marqués par les événements politiques des années 60 en Egypte, sous Jamal Abdenasser.
«Karnak Café» a été écrit en 1971 par le futur Prix Nobel de littérature. Il s’agit d’un roman court, loin des pavés habituels de Naguib Mahfouz. On y lit déjà en filigrane les prémices d’un futur inéluctable non seulement pour l’Egypte, mais pour tout le monde arabe, livré déjà aux dictatures et sans aucune promesse de véritable démocratie. On y lit déjà l’impossibilité du changement, le refus de changer de politique, l’absence de clairvoyance politique de la part des dirigeants. Les trois amis vont chacun à sa façon payer leurs rêves, en cauchemars bien dosés dans un monde sans pitié et sans visibilité.
Editions Actes Sud. Collection Babel. 160 DH.