Dubaï soigne son image. Ce pôle financier, incontournable en Asie, veut allier l’argent à l’art. Alors que cette ville accueillait les travaux des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et du groupe de la Banque mondiale (BM), elle a surpris les invités par une exposition de peinture. «Le tableau arabe» est le titre de cette manifestation entièrement financée par la banque centrale des Emirats Arabes Unis. Si l’argent ne manque pas à la ville, les centres d’art lui font en revanche cruellement défaut. Cela a été constaté par certains membres du FMI qui avaient visité la ville en repérage. Ils ont même osé quelques sarcasmes sur les Arabes, très peu portés sur la chose artistique. La teneur de ces railleries est parvenue jusqu’aux banquiers émiratis. Ils n’ont pas apprécié ! Ils se sont mordus le doigt de ne pas avoir eu le temps de construire un immense centre d’art flambant neuf, ni de pouvoir en confier la réalisation à Frank Gehry. La mort dans l’âme, ils ont été contraints de revoir leur ambition à la baisse, en jurant d’avoir une revanche spectaculaire dans très peu de temps. Dans l’urgence de laver l’affront, ils ont réagi par une manifestation modeste. Et c’est ainsi qu’ils ont complètement transformé l’immense hall du Sheraton Dubai où logeaient la majorité des participants aux travaux du FMI et de la BM. Le peintre Mohamed Melehi, pourtant réputé difficile sur ces détails-là, ne tarit pas d’éloges sur la qualité de l’éclairage et le revêtement des panneaux où ont été accrochés les tableaux. Il a fait partie des rares artistes invités à la manifestation. «Cette exposition se démarque par sa qualité, parce que le commissariat a été confié à un grand professionnel qui a fait le travail d’une façon irréprochable», dit-il. Le professionnel en question s’appelle Salah Barakat. C’est un Libanais, propriétaire d’une galerie très dynamique à Beyrouth : Ajial. Il a sélectionné trois peintres marocains. En plus de Mohamed Melehi, les peintres Fouad Bellamine et Mohammed Kacimi ont représenté l’art contemporain arabe. Ces deux derniers ne sont même pas au courant de la manifestation. Ce qui signifie qu’ils n’ont pas prêté leurs tableaux, et que les galeries du Moyen-Orient sont bien plus actives qu’on ne le penseait. Elles sont aussi sélectives, parce qu’il est difficile de remettre en question la qualité des participants marocains qui sont avec les Iraquiens les plus nombreux dans cette exposition. Aucun autre pays n’est représenté par trois artistes. Les Marocains ont été représentés chacun par un tableau. Le tableau de Melehi comprend les lignes sinueuses qui ont fait la réputation du peintre. Ces lignes, qui reprennent le mouvement des vagues, ont trouvé un transfuge dans les formes rondes d’un cops féminin. Le tableau de Fouad Bellamine participe, quant à lui, de la série des marabouts. Il dégage cette lumière, qui est la marque patente de son art, et dont le secret est un constant éblouissement pour l’oeil et l’esprit. L’oeuvre de Mohamed Kacimi atteste, pour sa part, sa préoccupation de l’homme. Un homme dévêtu, au visage anonyme, est debout. Aucun accessoire n’atteste son appartenance à une époque. Le peintre a certainement voulu que ce personnage soit le contemporain de toujours. En ce qui concerne les autres exposants, il existe des noms connus comme le Syrien Youssef Abdelki, l’Irakien Dia Azzawi et son compatriote Ismael Fattah ou l’Egyptien Adel Siwi. L’oeuvre qui s’impose dans cette exposition est volcanique. Elle a été peinte par l’Irakienne Suad Attar et s’intitule «Ah ! ma ville incendiée». Il s’agit de Bagdad sous les bombardements. Le tableau n’est pas figuratif. C’est un fouillis de rouge et d’orange, dont la plénitude plastique ne doit rien au sujet. Voilà pour le petit tour du catalogue de l’expo. Quant à la revanche spectaculaire des banquiers emiratis, ces derniers projettent de construire un musée d’art contemporain à Dubaï. Personne ne sera surpris s’il est le plus grand, le plus cher, le plus luxueux… de toute la planète. Amen !