ALM : Vous avez commencé votre carrière en essayant divers styles musicaux dont la soul avant d’adopter le style capverdien et plus précisément le batuquo. Est-ce un retour aux sources ?
Lura : Les choses ne se sont pas déroulées aussi simplement. En fait, j’ai commencé par chanter la musique zouk, une musique typique du Cap vert, ensuite je me suis orientée vers d’autres styles comme vous dites. J’ai chanté de la soul musique et même du r’nb, mais finalement je suis revenue à mes racines musicales. J’aimerais souligner que je suis née au Portugal, mais mes parents sont capverdiens. J’ai donc été influencée par la musique de mes origines. J’ai été bercée par la musique typique du Cap vert, étant donné que mes parents l’écoutaient souvent à la maison. J’ai donc effectué un travail de récupération de la musique de souche capverdienne.
Comment est-ce que l’environnement naturel peut justement influencer le style musical de l’artiste ?
Dans mon cas, cela s’est déroulé de manière tout à fait naturelle. Quand on vit dans une famille comme la mienne qui est capverdienne et qui réside en dehors de sa patrie, il y a comme une recherche d’identité. La musique donne ce sentiment d’appartenance. C’est pour cette raison-là, que malgré le fait que j’aie vécu au Portugal, j’ai été éduquée musicalement aux sonorités du Cap vert, mon pays d’origine. A la maison, j’écoutais la musique capverdienne à longueur de journé, cela m’a bien évidemment influencée.
Mais est-ce que l’influence familiale ne risque t-elle pas de prendre le dessus sur le choix personnel de l’artiste ?
Je ne pense pas. Ces influences sont absorbées, retravaillées pour ensuite donner naissance à un style que moi-même je choisis. J’ai subi cette influence qui est due à un besoin d’appartenance à une identité, à une patrie. Mais j’ai réfléchi sur cette influence et j’ai décidé d’emprunter mon propre chemin ; j’ai opté pour le style musical de mes racines, le capverdien. Cela s’est fait de manière très spontanée, et c’est une situation qu’on ne peut guère expliquer.
Personne n’allait s’imaginer que j’allais me retrouver un jour à chanter de la musique traditionnelle du Cap vert. C’était une grande surprise pour mes proches.
Ces dernières années vous chantez un genre particulier de la musique capverdienne : le batuquo. Quelle est l’origine et la symbolique de ce style ?
Le batuquo est une musique qui est normalement chantée par les femmes au Cap vert à la campagne. Mais si on veut remonter le temps, je dirais que cette musique a un rapport avec l’histoire de l’esclavage. Ce style est né en 1910. Les femmes chantaient leurs souffrances.
À travers la musique elles se plaignaient du système et des gouverneurs. Cela a entraîné, à un certain moment, l’interdiction de cette musique. Maintenant la situation est différente, mais ça continue à avoir une liaison avec le passé. Les autorités voient cette musique d’un mauvais œil.
Vous avez rencontré le producteur José Da Silva qui vous a encouragée à sortir votre premier album. Cela vous a propulsé aux, devants, de la scène et vous a ouvert la voie vers l’universalité.
Le plus important dans la vie d’un artiste et surtout dans ma propre vie c’est de maintenir les pieds sur terre. Il suffit en réalité d’être sérieux dans son travail, et d’être réaliste.
C’est seulement de cette manière qu’on peut atteindre l’universalité. Aujourd’hui, que je chante pour un petit groupe à Lisbonne ou pour un grand auditoire à Paris, cela revient au même. Ce n’est que petit à petit que la carrière se développe. Cette carrière évolue aussi au fur à mesure qu’on acquiert de l’expérience.
Aujourd’hui, ma participation à divers festivals a contribué à me donner plus d’assurance. Quand on voyage et qu’on anime des concerts dans d’autres coins du monde on a la possibilité de rencontrer d’autres artistes. Ces rencontres sont souvent enrichissantes. C’est ainsi tout naturellement qu’on passe de la sphère locale à la sphère universelle. Ce qu’il faut c’est bien maîtriser son art et y donner du cœur.
Cette universalité n’est-elle pas dangereuse, dans la mesure où on retrouve parfois des artistes qui sont exploités par l’industrie musicale ?
Personnellement je suis consciente que cette industrie peut être par moment dangereuse. J’ai senti un peu ça avec un producteur. J’ai compris à un certain moment qu’il jouait avec ma propre vie. C’est ainsi que j’ai décidé de laisser tomber mes projets musicaux avec ce producteur. Je connaissais ce milieu et j’étais consciente de ses dangers.
Mais pour le moment tout va bien, même si je sais que cette menace est imminente. Mais j’espère que ça n’arrivera jamais. En fait, je pense personnellement que ça dépend de l’artiste. Il faut maintenir la tête froide et imposer ses limites au producteur pour ne pas se laisser entraîner dans cette spirale infernale.