Mon corps se soulève
un poème me tord
je l’éjacule
comme un foetus rance
je le détache
le dépose sous vos lamelles
vos lentilles détraquées
ce n’est vaccin que je vous sers
formules magiques ou vérités allègres
Seigneur donnez-nous notre lot d’absurdités
quotidiennes
et préservez-nous de notre accablante liberté.
je vous émascule
dans vos fiertés d’époux
votre culture claironnante
vos babils de palier
vous enlaidissez mon texte
vous m’éteignez
vous me ramollissez
vous me disséquez en petites cérémonies
comment-ça-va-et-la-santé-c’est-le-principal
vous m’assenez vos fadeurs
vos façons de plain-pied
votre horizontale familiarité
vous me schématisez mes frères
mais vous souillez à peine mon tronc
j’ai des racines
un itinéraire souterrain de signes
un souffle d’éléments inconnus
Sortez de mon corps
hyènes à balafres
évacuez mon sang jaune de vos biles
sortez
à jamais salpêtres et poubelles
j’ai claqué ma vie
en aumônes
à votre oubli
je pars
je vous laisse ma carapace
mon appétit et mon langage quotidiens
je m’exile parmi vous
je me tais
je rentre ma colère
ma fraternité qui vous choque
mes mots qui s’usent à votre encontre
Il gèle
quelque part dans mon cerveau
une verrière se brise dans mes tempes
un peuple claque des dents
disons que des enfants meurent
qu’une femme avorte
qu’un mâle se prostitue
un cri m’arrête
blasphème jeté
aux entrailles du ciel
le cimetière se repeuple
de mains
Il neige sur des tombes
là quelque part
dans mon cerveau
je n’aime pas ta lune d’hommes bleus
écrase la recette
vent corps adouci
créneaux de citadelle
horde de forçats
cache tes doléances
truque ta faim
tes mégots d’espoir
ta risée au jour le jour
Rude et mienne
bribe quotidienne
tu viens de l’aube rabougrie
d’un entrechoc de siècles
et tu déclines ton nom
Pubère
calcul d’âges
tu ne concernes que ma liberté
tu ne saisis que ma liberté
tu ne me connais pas
mais reste
ne me plains pas
ne me plaide pas non coupable
ne trompe la foule
pour me blanchir.
• Abdellatif Laâbi