«Aujourd’hui, l’éclat du baroud. L’éclat de joie », hurle Ahmed, à la rocade de l’autoroute qui ouvre l’accès à Meknès. Au volant d’un gros camion, il avait à bord une dizaine de chevaux qu’il devait débarquer sur une grande esplanade située dans la région « Zitoune », à l’est de la capitale ismaïlienne. Nous y sommes. Dans le décor, des tentes caïdales s’étendent à perte de vue.
Des cavaliers étaient dispersés en ordre de bataille, devant des chevaux amenés du pré-Rif, du piémont (Dir, Hajeb), mais aussi des dromadaires venus d’Errachidia, Erfoud et Merzouga. Que faut-il ajouter à ce beau décor ? Des youyous, des «hourras » et autres expressions de joie remplissent les airs. «Joie, c’est peu dire. C’est la plénitude », exulte un Meknassi, le regard flamboyant. «Plénitude, cela dépend comment on prend ce terme. J’ai beau cherché une chambre dans un hôtel, pas une seule de disponible. On ne jure que par le surbooking», s’inquiète Kamal, un jeune casablancais. Ce mercredi, Meknès était transformée en un véritable lieu de pèlerinage.
A la veille de l’ouverture du 1er Salon international de l’agriculture, auquel participent une quinzaine de pays étrangers, elle devait accueillir des visiteurs des quatre coins du Royaume. Un premier rendez-vous auquel Sa Majesté le Roi a bien voulu donner sa dimension. Sa véritable dimension. Il s’agit de rendre à Meknès ce qui appartient à Meknès: sa vocation incontestée de ville agricole par excellence. La visite, que le Souverain effectue à Meknès depuis mardi dernier, vient corroborer ce choix. Et ce n’est pas tout… Quelle ne fut notre surprise, une belle surprise, de trouver que Meknès a été transformée en grand chantier.
Outre le projet d’amélioration du réseau routier desservant la région Meknès-Tafilalet, la mise à niveau de l’Hôpital Mohammed V, le plan de lutte contre l’habitat insalubre (dans la région Marjane II), les sites de la ville la plus monumentale du Royaume font depuis quelque temps l’objet d’un impressionnant travail de restauration. Hamid Ameur, un ancien inspecteur des monuments historiques, se dit enfin «consolé». S’il a encore de la peine à «digérer» que sa ville soit restée «à la traîne», alors qu’elle «doit rivaliser avec les grandes villes historiques du pays», voire du monde entier, il constate, non sans intérêt, que sa ville-bercail est en train «d’évoluer positivement ». Même tonalité chez El Hassan El Mansouri, inspecteur régional du ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement.
En admettant «qu’on n’a pas entretenu nos richesses», il voit dans les efforts déployés actuellement les prémisses d’une régénérescence prometteuse. Il invoque, à l’appui de son optimisme, la redécouverte et la réhabilitation d’un monument ismaïlien qui «n’a rien à envier au Palais Badie de Marrakech», en l’occurrence «Hri Mansour». Edifice imposant, ayant servi à la fois de résidence au Sultan Moulay Smaïl et de cache d’armes, «Hri Mansour» était pourtant inconnu de la population meknassie. «J’ai été terriblement surpris que ce site ait été ignoré», dit Mahmoud, animateur culturel. Et d’ajouter, reconnaissant: «Si ce site a pu sortir de l’oubli, c’est grâce au nouveau wali de Meknès, Hassan Aourid. Et, aussi, à un événement que «nous avons fait exprès d’organiser sur ce site majestueux : les Nuits soufies». Comme «Hri Mansour», plusieurs autres monuments font aujourd’hui l’objet de restauration. Il suffit de visiter «Espace Lahboul », un bijou du patrimoine colonial, pour se rendre compte du changement «révolutionnaire » que connaît Meknès, «la seule ville marocaine à avoir deux sites inscrits sur la liste du patrimoine universel de l’Humanité : l’ancienne médina et le site prestigieux de Volubilis», renchérit Hamid Ameur.
Construit en 1925, cet espace fait aujourd’hui l’objet d’un véritable travail de fourmis. Reboisement, mise en lumière des murailles, requalification du théâtre construit dans la pure tradition romaine, peinture à la chaux des troncs d’arbres… Et ce n’est pas fini. Aujourd’hui, l’intérieur de l’Espace «Lahboul» peut communiquer avec l’extérieur. Des grillages remplacent les anciens murs qui privaient les usagers du boulevard Moulay Al Hassan d’une très belle vue sur ce bijou historique.
Seule ombre au tableau, hormis le touriste, national ou étranger, la population locale continue de bouder son plaisir. L’absence d’un programme d’animation serait la principale cause de désamour. L’une des rares, sinon la seule grande manifestation organisée sur ce site, reste le Festival national du Théâtre professionnel (juillet-août de chaque année). Contacté par «ALM », l’actuel directeur de cet Espace, Mohamed Ben Akki, nous a affirmé que, en dépit de l’insuffisance du budget (1,80 million DH, dont 90% représenterait la masse salariale du personnel employé), «nous essayons bon an mal an d’investir dans l’animation de cet espace». Outre des soirées artistiques, l’Espace renferme un petit «zoo» qui compte néanmoins des espèces animales très rares comme les pigeons à capuchon. Changement de cap. A l’heure où le soleil se prépare au coucher, la Place l’Hidm, cœur battant de l’ancienne médina, s’anime.
Située pas loin du Mausolée de Moulay Ismaïl, cette place rappelle étrangement l’enceinte légendaire de Jamaâ El Fna. Si l’on peut regretter que la place L’Hdim ne bénéficie pas du même intérêt dont jouit l’enceinte mythique de la ville ocre, elle n’en garde pas moins un atout crucial pour son devenir : une histoire dont les origines trempent dans les tréfonds de la dynastie alaouite, et qu’il faut juste penser à mettre en valeur. «Le problème, c’est que cette Place, et plus globalement tous les monuments de Meknès, sont sous-médiatisés», déplore El Hassan El Mansouri (Département de l’Aménagement du territoire). Même son de cloche chez son collègue, Hamid Ameur. «Le produit est là, seulement il faut le travailler pour le faire vendre», exhorte-t-il. «On peut maintenir le touriste pendant une semaine, ou dix jours, en travaillant sur la requalification de la région», renchérit-il. Considérée, à tort, comme une «ville de passage», Meknès devra désormais savoir saisir toutes ses chances actuelles pour devenir un grand pôle touristique. «Tout ce qu’il y a au Maroc, on le trouve ici, sauf la plage.
Dans la région Meknès-Tafilalet, il y a le désert (Merzouga), la neige (Ifrane, Azrou, Hajeb, etc), les zones humides (Dayet Aoua, Ifrah, Aguelman, Sidi Ali, etc), les dunes mouvantes (Erfoud), les «Aâyouns» (sources d’eau, comme l’aïn Zerka, Errachidia), les montagnes du Moyen-Atlas, une nature à nulle autre pareille. Pour s’en rendre compte, un simple détour du côté de ce magnifique Moyen-Atlas suffit : cette région compte une magnifique cédraie, inscrite sur la liste du patrimoine naturel universel de l’Humanité. «Quelle autre ville peut se prévaloir d’une enceinte historique aussi immense (Hri Mansour, Hri Souani, etc) ? Quelle autre ville peut receler des potentialités agricoles aussi prodigieuses (olivier, viticulture, etc) ? Ces atouts, et bien d’autres, auraient pu être un grand levier de développement de Meknès», explique M. Ameur. Mais voilà, la gestion communale calamiteuse de cette ville a fait que beaucoup de retards ont été accumulés. Plusieurs Meknassis disent être «déçus» par la mauvaise gestion de l’actuel Conseil de la ville.
En dépit de tout, ils gardent toujours l’espoir de voir leur ville renaître. Espoir désormais permis, quand on mesure l’intérêt que Sa Majesté le Roi attache à ce berceau de la grande civilisation du Maroc, première ville islamique du Royaume (Moulay Driss Zerhoun), entourée de l’un des sites romains les plus grands de la Méditerranée (Volubilis).