«Suivez l’odeur de la cire fondue et vous trouverez la maison ! ». A Bab Sebta, au fond du marché populaire de Salé, les habitants vous indiqueront ainsi, comme par réflexe, Dar Belakbir. Non, ce n’est pas une usine de cire, mais presque. Car, à la même période de chaque année, l’odeur qui se dégage de la vieille demeure de cette famille slaouie provient, en effet, d’un véritable petit atelier de fabrication des cierges. Pourquoi ? Eh bien, si vous ne connaissez pas la raison, c’est certainement parce que vous ignorez que Salé s’est rendue célèbre pour sa procession des cierges. Un grand événement, organisé, à la veille de l’Aïd Al Mawlid sous la supervision des chorfas de la ville, à leur tête la zaouia des Hassouniyine. Ce sera, donc, pour ce week-end, alors les préparatifs s’accélèrent dans l’atelier familial. Toute la maison Belakbir est chamboulée comme si l’on était sur le point de déménager. Les deux principales chambres ont été vidées complètement de leurs meubles pour servir de « cuisine » aux chefs. Ils sont deux frères : Ahmed et Abdelkader. Des cheveux blancs et des rides, certes, mais leur âge, respectivement 66 et 68 ans, n’amenuise pas leur passion pour ce qu’ils font. Des gestes méticuleux et mécaniques, concentration et beaucoup de patience. Les deux maâllems passent des journées entières, assis dans leur petit monde de couleurs : rouge, vert, blanc et noir pour les inscriptions à mettre sur les cierges. D’ailleurs une bonne partie de ces derniers est déjà prête et bien protégée par des draps. Maintenant, il faut faire vite pour finir à temps. A peine les deux artisans prennent-ils le temps d’échanger quelques mots et c’est souvent pour se concerter au sujet de leur travail. Une petite bonbonne de gaz pour bouillir la cire, des pots de peinture spéciale en poudre, des moules en bois, de la colle et des carcasses en bois de différents formats. Des ingrédients éparpillés tout autour des maâllems. Pourtant, dans leur tête, tout est calculé au point qu’ils ne s’y perdent jamais. La maîtresse de maison, Zhor, l’épouse d’Ahmed, ne rate pour rien au monde l’occasion de suivre l’opération de confection des cierges. Dès qu’elle termine de préparer les repas, elle s’installe devant les maâllems. Observatrice, elle les prévient lorsqu’elle remarque de petits défauts qui pourraient survenir en raison d’une manœuvre rapide ou d’un oubli. Elle leur évite, aussi, des navettes entre les deux ateliers : «De quoi as-tu besoin? Du pot de peinture rouge ?», demande-t-elle à son époux. Elle se lève animée par une grande énergie et court vers son beau-frère. Et vice-versa. Cela ne la dérange pas du tout et ne vous attendez pas à ce qu’elle vous dise un jour qu’elle s’ennuie. Tout au contraire, son visage rayonne par un grand sourire comme un enfant à qui l’on aurait offert le jeu dont il rêvait. De temps à autre, les habitants, poussés par la curiosité ou juste pour encourager les maâllems, viennent leur rendre visite. C’est Zhor qui les accueille et leur sert de guide. Ahmed et Abdelkader, eux, sont collés sur leurs matelas de jour comme de nuit. Ils ne sortent presque jamais de la maison : «Nous travaillons sur cette cadence depuis un mois», lance Ahmed. Une petite radio est là, près de lui, pas pour lui tenir compagnie, mais pour qu’il garde le contact avec ce qui se passe dans le monde. Les deux artisans n’ont pas de secret à cacher. Alors prenez notes si vous voulez vous y mettre : faire fondre la cire dans des marmites en aluminium, mais, attention, sur un feu très doux. C’est indispensable pour l’obtention d’une cire douce et sans aucune impureté. Vous avez donc la base après laquelle il faut passer à une autre étape tout aussi cruciale : «Sans attendre que la cire se refroidisse. Dès qu’elle a fondu, on la mélange avec de la peinture en poudre. Et dans cette cire colorée, on introduit les moules en bois et dès qu’ils prennent forme, nous les ressortons tout de suite pour les mettre dans une bassine d’eau froide», explique Ahmed. Choc thermique efficace. C’est ainsi que les petites fleurs, cubes, losanges et autres naissent en un laps de temps. Toute l’opération se passe avec agilité. Une fois que les décorations sont sèches, Abdelkader prend les carcasses de bois sur lesquelles les lignes du dessin sont déjà tracées et commence à coller, au moyen de la résine, les motifs. Une mosaïque prend vie sur les cierges en bois et les transforme en portes messages qui n’attendent plus que leur porteurs. «Les plus gros, de près de 60 kg, prennent au moins huit jours de travail. Ceux de taille un peu moins grande demandent deux à trois jours de travail», indique Abdelkader.
Une fois la mission des deux frères terminée, ils sont doublement contents. D’abord parce qu’ils perpétuent une tradition que leur a transmise leur oncle, Ahmed Chekroun, en 1953. Et ensuite, parce qu’ils sont uniques détenteurs de ce savoir-faire. «Cette année, les autorités de la ville nous ont demandé de mettre en place à Bab Lamrissa un stand qui sera aménagé en atelier de confection des cierges. Nous allons nous ouvrir au public», annonce Ahmed. Ce stand et la procession des cierges sont prévus ce samedi 31 mars à 17h. Avis aux amateurs !