Culture

Miloud Labied, tout sur ma peinture

Aujourd’hui le Maroc : Vous vous arrêtez régulièrement de peindre. Comment expliquez-vous cela ?
Miloud Labied : Il faut avoir l’humilité de s’arrêter lorsque le travail devient répétitif. Je dois cela à l’idée que je me fais de mon oeuvre et à ceux qui suivent mon travail depuis des années.
En plus, comme je suis un peintre qui a eu beaucoup de périodes, si je me complaisais dans une façon de faire, cela voudrait dire aussi que j’ai perdu de ma vigueur et que mon sens de la recherche s’est bien émoussé. Or, s’il y a quelque chose qui me tient à coeur, c’est bien le fait que je suis un peintre chercheur. Il existe à cet égard des périodes dans mon cheminement de peintre où j’ai peint seulement trois tableaux. Parce que je sentais que je ne pouvais pas donner plus.
Comme on dit chez nous : il ne faut pas traire jusqu’à avoir du sang au lieu du lait.
En dépit de toutes les périodes qui caractérisent vos oeuvres, il existe une constante se rapportant aux touches circulaires. D’où vous vient votre intérêt pour les formes circulaires ?
Il est autobiographique. Je ne le dois pas à l’influence d’un peintre, mais à deux épisodes se rapportant à mon enfance. Je me souviens encore d’un jour pluvieux à la campagne où je me suis accroupi près d’un brasero pour me réchauffer. Mon père est rentré tout trempé des champs, il portait une djellaba. Il ne m’a pas vu et a écarté les jambes pour s’emparer de la chaleur des braises. Il m’a enveloppé en même temps que le brasero. J’ai levé les yeux et j’ai tout vu de ses parties intimes…
Cette image est restée incrustée dans ma mémoire. Le deuxième épisode remonte également à mon enfance. J’assistais à une fête de femmes, lorsque ma tante est sortie en fuyant. Je l’ai suivie et j’ai vu qu’elle avait retroussé ses vêtements et qu’elle s’essuyait avec un tissu taché de sang. Elle venait d’avoir ses règles. !
J’ai mis très longtemps à comprendre que ma fascination pour la touche circulaire vient précisément de ces deux souvenirs d’enfance. Et c’est pour cela aussi qu’il existe toujours dans tous mes tableaux circulaires une partie du corps humain.
Il est curieux de vous entendre expliquer votre peinture alors que vous n’êtes pas un peintre enclin aux discours sur l’art. Certains vous ont même considéré à une certaine époque comme un peintre naïf…
Oui, parce que durant la fin des années soixante et les années soixante-dix, le groupe de Casablanca considérait ceux qui ne produisaient pas de discours sur l’art comme des naïfs. L’art naïf était méprisé. On y voyait la marque de la non-intelligence de la peinture dans notre pays. J’avais dit à l’époque dans la revue « Intégral » qu’il est préférable que les intellectuels s’abstiennent de parler de la peinture. Ils ne la connaissent pas de l’intérieur, et pire : ils appréhendent un tableau comme un livre. Un tableau n’est pas un livre ! Ceux qui cherchent des idées dans une peinture se trompent d’objet ! L’appréhension d’un tableau n’a rien à voir avec la lecture d’un livre. Il s’agit de deux langages. En plus, je ne titre jamais mes tableaux. Cela fait plus de 30 ans que je peins, et je donne toujours des chiffres à mes oeuvres : numéro 1, numéro 2, numéro 3 et ainsi de suite. Si je n’introduis pas de mots dans mes tableaux, cela veut dire que je considère la peinture comme un langage suffisamment clair et performant pour se passer aisément d’un cortège de mots.
Et que pensez-vous du discours qu’on produit sur votre peinture?
Du moment que je suis convaincu par ce que je fais, il m’importe peu que les gens en disent du bien ou du mal. À l’époque de l’école de Casablanca, on écrivait sur ma peinture. Pourtant, je ne lisais que les entretiens pour être sûr que mes propos n’ont pas été déformés. Quant aux articles, je me refusais de les lire non pas par mépris, mais pour qu’ils n’influencent pas ma peinture. Je tenais à ma liberté de choix, de faire et de figurer. Il ne fallait pas que mon travail soit assujetti à un discours ou une forme d’expression exclusive. Non ! Il doit respirer la vie, ne pas craindre le changement. La seule forme de constance dans l’engagement est celle qui me lie, en tant qu’homme-peintre, à mon oeuvre. Là oui, il y a de l’engagement et même de l’éthique. Mais quand je suis en face de la surface blanche, je ne permets à personne et encore moins à un discours de s’interposer entre l’oeuvre et moi. C’est un combat de boxe : ou bien la surface blanche me terrasse, ou bien je sors vainqueur.
La problématique identitaire s’est posée avec acuité pendant les années soixante et soixante-dix…
Je n’ai jamais compris ce qu’est la question identitaire dans la peinture. Je suis Marocain, fier de ma nationalité, mais ma peinture, c’est une autre affaire. Elle doit trouver sa voie en tant qu’oeuvre picturale et non pas en tant qu’oeuvre réalisée par un peintre marocain. D’ailleurs le monde est devenu si petit qu’il est impossible aujourd’hui de ne pas trouver un pendant à vos oeuvres que ce soit au Japan, au Canada ou dans un autre pays. De telle sorte qu’il est très difficile de faire une oeuvre aujourd’hui en se disant qu’elle a une identité qui la démarque des autres. Je le répète: «c’est la voie empruntée par un peintre qui m’intéresse et non pas la nationalité imprimée sur ses oeuvres».
Que pensez-vous des peintres qui introduisent des signes dans leurs tableaux pour qu’ils fassent marocains ?
Les signes sont bien là où ils sont. Ce n’est pas la peine qu’on les défigure. La calligraphie arabe est intrinsèquement belle. Elle n’a pas besoin de la peinture pour avoir plus d’éclat. Quant aux signes en peinture, Ahmed Cherkaoui est le seul peintre qui a su en tirer parti. De ce point de vue-là, aucun autre ne peut pousser la recherche aussi loin que Cherkaoui.
D’ailleurs, n’était sa mort prématurée, il était sur le point de renoncer au signe pour passer à une autre chose. La rengaine d’une peinture marocaine authentique ne m’intéresse pas du tout. Je respecte les tapis marocains, je respecte les poteries marocaines, mais ces formes d’expression sont une chose et la peinture est autre chose.

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