Culture

Miloud, peintre des passions obscures

© D.R

Miloud Labied peint au seuil de son appartement. La signature qu’il appose sur ses tableaux est placardée sur la porte d’entrée. Au lieu d’indiquer son identité en inscrivant platement ses nom et prénom, il signe par “Miloud“. C’est ainsi qu’il est connu dans le monde de l’art. Miloud sans piédestal, ni lettres gothiques, de même que ses tableaux tiennent sans cadre doré, ni marie-louise toilée. L’intérieur de son appartement ressemble à un capharnaüm où des objets d’Antiquité se mêlent aux télécommandes d’une télé, d’un récepteur numérique et d’une chaîne hi-fi. Miloud aime le marché aux puces. “J’y achète encore mes habits“. Sa passion pour l’Antique va de pair avec une curiosité pour les nouvelles technologies. Il sort souvent un agenda électronique pour chercher le numéro de téléphone d’un ami. Dans le bric-à-brac d’objets qui décorent son quotidien, deux vieux pendules occupent une place à part. Ils sont massifs, fonctionnent parfaitement, mais sans indiquer exactement la même heure. Leur petit dérèglement est à l’unisson du grain de sable qui empêche la peinture de Miloud d’être parfaitement huilée. Une peinture qui comporte sa part obscure. Les formes circulaires qui la caractérisent sont des tourbillons qui tiennent l’imaginaire de l’artiste prisonnier d’un événement qui remonte à son enfance. Pourquoi deux motifs arrondis récurrents dans la peinture de Miloud? L’artiste n’a aucun mal à en préciser la teneur autobiographique : “Je me souviens encore d’un jour pluvieux à la campagne où je me suis accroupi près d’un brasero pour me réchauffer. Mon père est rentré tout trempé des champs, il portait une djellaba. Il ne m’a pas vu et a écarté les jambes pour s’emparer de la chaleur des braises. Il m’a enveloppé en même temps que le brasero. J’ai levé les yeux et j’ai tout vu de ses parties intimes…“ Miloud se souvient sans trémolo dans la voix, en enveloppant juste l’atmosphère du lourd nuage de la fumée de ses cigarettes brunes. Il cache une cartouche de cigarettes de la marque Olympic Bleu sous la table, et enchaîne sans répit une cigarette après l’autre. La fumée de ses cigarettes a ajouté une mince couche jaune au nombre impressionnant de tableaux qui tapissent les murs du petit salon. Des tableaux offerts par ses amis. Il en a reçus d’autres qu’il a négligemment jetés dans un coin. “Je distingue entre l’homme et l’oeuvre. J’ai des amis peintres que j’aime beaucoup, mais dont je ne peux pas voir la peinture“. Miloud est très connu pour son franc-parler. Il dit des choses étonnantes sans élever la voix. Il a une façon flegmatique d’appréhender les accidents de la vie. De ne pas s’étonner qu’un proche ne puisse pas survivre à une maladie incurable. Miloud est la personne la moins indiquée pour les hommages nécrologiques. Sa voix jure toujours par son réalisme avec le concert de discours émotifs. Son franc-parler lui a valu un tollé de protestations des peintres, après la parution d’une monographie sur Jilali Gharbaoui. Miloud avait confié à l’auteur du livre ce que tout le monde savait déjà. Il avait parlé de l’homosexualité de Gharbaoui. L’indignation des peintres est pour le moins impromptue. Depuis quand l’homosexualité enlevait quoi que ce soit à la virilité d’une expression artistique ? Miloud laisse passer les orages. Il en a connu d’autres. Des orages secs ! 1945 est une année rude pour les campagnes marocaines : épidémies et sécheresses ont combiné leur force pour venir à bout des récoltes et des hommes. Le père de Miloud décide alors d’emmener ses enfants chez un oncle qui vit à Salé. Ils marchent à pied de leur douar jusqu’à Sidi Hajaj dans la région de Khouribga. “Je me souviens encore de ce jour-là. Le ciel était couvert. On voyait de temps à autre des avions de chasse et des aéroplanes dans le ciel“ dit Miloud. Il a dû travailler pendant un mois à Sidi Hajaj pour ramasser l’argent du train. Comme il n’a jamais été au msid ou à l’école, Miloud s’est cramponné à la peinture. “Je n’ai pas choisi d’être peintre, je me suis retrouvé dans la peinture“. Il entre dans l’atelier d’une dame au sujet de qui il ne tarit pas d’éloges : Jacqueline Brodsksis. Première exposition au musée des Ouddayas en 1958. Depuis, Miloud n’a pas cessé de peindre. Miloud Labied est né en 1939 au douar Oualad Youssef dans la région de Kalâat Sraghna. Aujourd’hui, il quitte peu à peu son appartement à Rabat pour revenir à la campagne. Il rêve de mettre la dernière touche à sa fondation, située à 22 km d’Amzmiz. Cette fondation est appelée à abriter l’importante collection d’estampes dont dispose l’artiste. La collecte de toute une vie dévouée à l’art. Certaines oeuvres lui ont été données par ses amis artistes, d’autres ont été achetées. Ces gravures et lithographies attestent le goût sûr de Miloud en matière d’art. On y trouve des noms qui font la fierté des grands musées d’art moderne dans le monde. Il suffit de citer Hartung, Kandinsky, Bellmer, Corneille, Chagall, Karl Appel, Leonor Fini, Vieira Da Silva, Matta ou Bernard Buffet pour s’en convaincre. Cette fondation est le sujet qui passionne le plus aujourd’hui Miloud. Elle souligne le sens du partage qui préside à de nombreuses actions du peintre, même s’il fait tout pour le dissimuler.

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