Culture

Mounir Fatmi de retour au pays

© D.R

Mounir Fatmi, l’un des artistes les plus connus au monde revient sur sa terre natale le temps d’une exposition en deux temps à Casablanca. A la veille du vernissage qui aura lieu le 11 octobre à l’Institut Français et à la galerie Fatma Jellal, Mounir Fatmi répond aux questions d’ALM…

 

Ca fait bien longtemps que vous n’avez plus exposé au Maroc. Quel effet cela vous fait-il d’être de retour?

C’est vrai que je me suis retiré de la scène artistique marocaine depuis plus de dix-sept ans sans exposer dans aucune galerie. Mais j’avais déjà exposé à Casablanca en 1996 à la galerie Nadar. Apres cette exposition, j’avais commencé toute une période d’effacement de mes peintures, ce qui m’a ramené vers d’autres médiums comme la photographie, la vidéo où l’installation.  

 

Pourquoi le choix de cette ville ? Est-ce en raison de la rencontre entre Claude Levi-Strauss et André Breton qui y a eu lieu?

Il y a plusieurs raisons au choix de la ville de Casablanca. J’ai vécu à Casablanca de l’âge de quatre ans jusqu’à mes seize ans, avant mon départ pour des études à Rome. Le voyage de Claude Lévi-Strauss était un projet pour l’exposition « Ici, Ailleurs », qui inaugurait la manifestation Marseille 2013, Capitale Européenne de la Culture.

La rencontre entre Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue et André Breton, le surréaliste, au port de Casablanca juste avant leur départ pour New York pendant ce fameux voyage de la dernière chance que Lévi-Strauss raconte dans « Tristes Tropiques » est fascinante.

Cette image mentale que le film Casablanca a gravé dans la mémoire du cinéma international, alors qu’aucune image n’a été tournée au Maroc et que tous les décors étaient réalisés dans des studios à Hollywood, me donne parfois l’impression d’être plus dans une fiction que dans une ville. C’est pourquoi j’aime particulièrement Casablanca.

 

Quelques mots sur cette exposition en deux temps…

Ce sont deux expositions très complémentaires. A l’Institut Français, je montre l’installation « Le Voyage de Claude Lévi-Strauss » qui consiste à connecter les différents voyages et déplacements de l’anthropologue – explorateur. L’installation ne se veut pas un récit biographique de sa vie. C’est l’exil et le déplacement qui m’intéresse. Plus que le voyage, c’est plutôt l’impossibilité du voyage, les frontières, les visas et le poids des identités que le voyageur exilé est obligé d’affronter qui forment le sujet de toute l’installation.

Simultanément, à la Galerie Fatma Jellal, je présente « La ligne droite », une exposition plus au moins autobiographique qui commence par deux peintures effacées en 1996.

Je montre aussi la vidéo « The Beautiful Language », dont les images sont extraites du film « L’Enfant sauvage », de François Truffaut, de 1970. C’est un film basé sur l’histoire vraie, à la fin du 18e siècle, d’un garçon « sauvage » pris en charge par un médecin et étudié comme un spécimen de la différence. Les deux expositions se rejoignent sur plusieurs points, surtout sur la notion de la violence de la civilisation.

 

La notion de voyage, de perception des frontières est omniprésente dans votre œuvre. Cette préoccupation tire-t-elle ses origines de votre enfance à Tanger, cette ville de passage des candidats à l’immigration ?

Oui, il y a sûrement quelque chose de Tanger dans ma vie en général. Tanger est une ville très dure avec tout ceux qui l’aiment. Il y a une malédiction du départ. Souvent, ceux qui veulent la quitter n’y arrivent jamais et deviennent des prisonniers de la ville.

J’ai constaté d’ailleurs depuis plusieurs années que beaucoup de jeunes africains arrivent avec cet espoir de pouvoir rejoindre l’Espagne et puis l’Europe, et finalement ils y restent définitivement. C’est un peu le sujet de ces deux expositions à Casablanca.

D’ailleurs, je me considère moi-même comme un travailleur immigré, je suis tout le temps en déplacement pour mes expositions et mes projets. Dans « Tristes Tropiques » Lévi-Strauss a commencé le premier chapitre par ce titre « la fin des voyages », je le comprends parfaitement.

 

Vous dites « de l’exil, j’ai fabriqué des lunettes pour voir »… Que distinguez-vous aujourd’hui, vous qui vivez entre le Maroc et la France ?

L’exil m’a donné du recul pour voir, analyser et surtout essayer de comprendre le monde.

Je vis entre le Maroc, la France et les Etats-Unis pour des raisons familiales. Avec ma femme et mon fils, nous partageons le déplacement entre ces trois pays. Pour des raisons professionnelles, je me déplace un peu partout dans le monde. C’est une manière d’expérimenter le monde et de rencontrer d’autres publics. Avant de venir à Casablanca pour ces expositions, j’ai dû choisir entre deux pays, où je montre deux installations différentes, une à Hong Kong et l’autre à la première biennale de Martinique qui a programmé d’ailleurs l’installation « le Voyage de Lévi Strauss ». La biennale célèbre cette année le centenaire d’Aimé Césaire. Finalement, j’ai décidé de partir à la Martinique. Voilà, j’apprends en me déplaçant, je crée en me déplaçant, l’exil m’a appris à être flexible et à ne pas trop m’attacher aux lieux, ni à avoir de nostalgie.

 

Quel est selon vous le rôle de l’art et de l’artiste dans la révolution?

Je ne peux pas donner un rôle à l’art. L’art doit avoir plusieurs rôles, c’est ce qui le rend plus intéressant que la politique. C’est un système ouvert qui offre tellement de possibilités, ça serait regrettable de le réduire à un seul rôle. Mais je vois très bien ce que vous voulez dire.

Je pense qu’une œuvre d’art doit faire une révolution avant tout, dans le champ artistique.

Une peinture impressionniste était une révolution. Le carré blanc sur fond blanc de Malevitch était une révolution. Le Cubisme était une révolution.

Après, il y a l’engagement de l’artiste comme citoyen dans une société et là c’est autre chose. Il y a des situations où l’art rejoint le combat politique, mais il ne doit pas cesser d’être un art libre, sinon le combat est perdu d’avance.

 

Vous comparez la révolte des peuples arabes à la révolte contre le paternalisme. Avez vous fait votre propre révolte contre la figure du père et si oui, comment cela s’exprime-t-il dans votre oeuvre?

Juste le fait de décider d’être artiste était déjà une grande provocation pour mon père.

Il aurait aimé que je travaille dans une banque. Je n’ai jamais aimé les banques et finalement je pense que j’avais raison. Mes ruptures n’étaient pas seulement contre mon père, mais contre l’idée même du paternalisme qu’il soit politique ou religieux. Je sais que ce n’est pas évident dans une structure familiale qui est basé sur l’idée du père. Avec le temps, mon père avait compris que j’ai choisi l’art par vocation et que la création est un combat.

 

Votre travail traite essentiellement de la désacralisation de l’objet religieux, de la déconstruction, de la fin des dogmes et des idéologies… Compte tenu des derniers évènements qui agitent le monde arabe, peut on dire que vous êtes une sorte de visionnaire ?

Je serais vraiment prétentieux de vous dire oui. Mon combat est avant tout dans le champ de l’art. J’ai compris très vite qu’il ne faut pas se contenter d’utiliser les concepts existants, qu’il faut questionner les fondements, voir s’ils sont solides. J’ai essayé de comprendre le malaise de mes contemporains face à plusieurs combats depuis le colonialisme, la question du racisme aux Etats-Unis avec tout un projet sur les Black Panthers, la question de la nature humaine avec Lévi-Strauss ou la Négritude, d’Aimé Césaire, puis la liberté des peuples de gérer leur destins. Tout ça a coïncidé avec les événements des printemps arabes et c’était une grande surprise pour moi. Il  n’y avait aucun visionnaire, personne n’a vu cette vague arriver, donc ça serait très malhonnête de ma part d’essayer de surfer sur cette actualité. 

 

Certaines de vos œuvres sont jugées subversives.  Qu’en pensez-vous ?

Si la  subversion se réfère à une tentative de transformer l’ordre établi, de questionner  ses structures, de poser la question du pouvoir, de la liberté, oui, je suis subversif et je ne changerai pas. J’avais écris une phrase dans mon manifeste Coma qui dit : « Si l’art est un marché, évitons d’être des légumes »

 

Quel regard portez-vous sur la scène artistique marocaine ?

Je ne veux pas passer pour un donneur de leçon. Vous voyez la personne qui est capable de synthétiser en deux mots la scène artistique Marocaine ? Il y a beaucoup d’autres qui sont plus doués que moi pour faire cet exercice. Mon regard est très personnel. J’ai de l’espoir dans la nouvelle génération, je la suis de très près, justement pour ne pas faire l’erreur de la génération qui m’a précédée et qui a créé un énorme fossé qu’on ne peut malheureusement jamais combler.

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