ALM : On fête cette année les 18 ans d’existence du Festival Gnaoua. Avant de parler du bilan, peut-on revenir sur les débuts de cette messe artistique. Comment est-elle née ?
Neila Tazi : D’une belle rencontre, entre des personnes libres d’esprit et passionnées de musique, d’art, des Gnaoua et d’Essaouira. Ce qui devait être au départ un événement très pointu musicalement, un événement qui s’adresse à des initiés, est vite devenu un rendez-vous où des centaines de milliers de gens se donnaient rendez-vous pour venir à la rencontre du Maroc qui bouge, d’un Maroc créatif et avant-gardiste, au sein d’une foule débarrassée des clichés habituels qui étaient souvent un frein à la mixité et donc à la liberté.
Au bout de ces 18 ans, peut-on dire que vos objectifs premiers ont été atteints ?
Notre objectif prioritaire qui était de valoriser l’art des Gnaoua a été atteint. Mais comme je viens de le préciser, la dimension prise par le festival a très vite dépassé notre objectif de départ, car dès les premières éditions l’événement a attiré des foules très nombreuses.
Au regard de la tournure que prenaient les événements le challenge devenait beaucoup plus important et nos engagements aussi. Il nous fallait à la fois être à la hauteur des attentes d’un public très nombreux, gagner en qualité de contenus et d’organisation, en crédibilité internationale, et il nous fallait continuer de défendre la profondeur et l’authenticité de cette musique.
Quel rôle a joué le festival dans l’ascension de l’art gnaoui ?
Le festival a permis à cette musique de trouver sa place sur la scène des musiques du monde.
Les Gnaoua sont connus et reconnus au Maroc comme à l’international comme un courant musical qui a beaucoup à offrir à la musique. C’est cette reconnaissance qui permet de gagner en force et en légitimité dans ce que nous entreprenons.
Certains restent sceptiques quant à la légitimité du recours à la fusion pour ce genre de musique.
Comment justifiez-vous ce brassage que le festival a choisi d’adopter depuis ces débuts et quel en a été l’apport pour la culture gnaouie ?
Les Gnaoua ont toujours fasciné de grands musiciens tels que Robert Plant, Randy Weston, Archie Shepp ou Omar Soza. Le festival a permis de donner encore plus de visibilité à cette musique en programmant des fusions inédites et en ouvrant la voie à de nouvelles collaborations avec des noms aussi connus que Pat Metheny, Marcus Milller, Youssou Ndour, Joe Zawinul, Waye Shorter pour ne citer que ceux-là. Je vous invite à suivre les récentes déclarations de Herbie Hancok ou à écouter celles de Marcus Miller pour comprendre l’éclairage qu’apporte la musique gnaouie sur les origines africaines du jazz ou du blues. Les Gnaoua sont devenus une référence et illustrent parfaitement ce Maroc terre de brassage multiculturel. La force de l’art c’est d’arriver à créer de la curiosité et du dialogue, de transcender les partis pris et les jugements faciles. Et puis sans avoir à aller aussi loin, imaginez simplement où en seraient aujourd’hui les Gnaoua si ce festival et ces fusions n’existait pas.
Cette année, Maroc Telecom a été présenté comme sponsor officiel. Comment s’est fait le passage de relai entre Méditel et MT? Et qu’apporte cette adhésion à votre festival?
Maroc Telecom nous a fait une offre plus intéressante et nous sommes ravis d’accueillir ce nouveau sponsor qui manifeste un réel intérêt pour le festival. Cet intérêt est porté par le top management et toute une équipe qui se mobilise à nos côtés. Nous remercions Méditel pour le soutien apporté durant des années, un soutien qui nous a permis de développer des nombreux projets.
Et la ville d’Essaouira, peut-on l’imaginer sans Gnaoua ?
Essaouira vibre au quotidien et en permanence aux rythmes des Gnaoua dont la culture est fortement enracinée dans les traditions locales. Le festival est une formidable célébration annuelle de 4 jours, des retrouvailles magiques entre une ville, ses artistes et leurs publics.
Mis à part l’aspect économique, quel est l’apport humain d’un évènement comme le vôtre ?
La force du festival est qu’il est avant tout une aventure humaine justement. Une aventure dont l’impact social est fort. Il a permis de revaloriser une culture minoritaire, une culture issue d’un brassage entre le Maroc et ses profondeurs subsahariennes, et donc de rappeler l’ancrage africain qui est le nôtre alors même que nous étions tous aveuglément tournés vers l’Europe et le monde arabe. Le festival a permis de placer la culture dans l’espace public, de créer de la mixité sociale et de l’interaction entre différents publics qui ne se côtoient pas habituellement. Enfin je dirais que le plus bel apport humain est celui d’un projet qui se construit par la volonté et la force d’une équipe, et la collaboration entre différents acteurs qui échangent et s’accordent a réaliser ensemble un projet de cette taille qui ne pourrait exister sans l’engagement d’un ensemble de personnes de conviction.
Comment voyez-vous le Festival Gnaoua dans les années à venir ?
Notre objectif est de lui assurer les conditions de sa pérennité et les moyens de gagner en qualité. Comme tous les organisateurs de festival, notre volonté est que chaque édition soit meilleure que la précédente mais il semble aussi que le Festival Gnaoua mérite aujourd’hui de se développer sur la durée, cela servirait les intérêts de la ville et des opérateurs. Il y a mille et une idées à développer dans ce sens et cela se fera progressivement, dans la concertation. Ce que nous voyons enfin pour les années à venir ce sont des maâlems encore plus connus à l’international, plus de grands noms qui viennent à la rencontre des Gnaoua, et enfin des jeunes talents qui émergent pour donner encore plus de force et de jouvence à cette musique.