Culture

Mustapha Ghazlani: «Les arts marocains ont besoin d’un travail de fond»

© D.R

ALM : Parlez-nous de vous, votre formation, votre parcours et vos expositions…
 

Mustapha Ghazlani : Depuis l’adolescence j’ai attrapé cet amour des lettres qui m’a aidé à surmonter beaucoup de mes problèmes tels la colère, la soif de  justice ou encore de supporter le poids de la pauvreté que nous vivions surtout pendant la sécheresse… Toutefois, mon rapport à l’art ne s’est jamais éteint depuis mon enfance ; j’étais mordu par le façonnement des objets en argile ou en  bois, en les créant ou les recréant… Alors adulte, après la fin de mes études, durant 6 ans je m’appliquais en peinture sans oser montrer ce que je produisais jusqu’en 1999, où j’ai fait mon premier accrochage personnel. J’aimerais dire que j’ai eu beaucoup de chance d’avoir la possibilité de visiter énormément de musées, de fondations, de foires, d’expositions, des bibliothèques spécialisés et d’ateliers d’artistes… partout en Europe. Ce n’est qu’en 2002 que j’ai osé participer à une exposition collective, et depuis, j’ai accumulé les expositions au Maroc ou à l’étranger, notamment en Suisse.

Vous êtes plasticien et poète. Où s’arrête le peintre et où commence le poète ?

Plasticien, poète, romancier, cinéaste, compositeur… ne sont que des modes d’artiste et non l’état d’artiste, qui reste un don, ce qui veut dire qu’il y’a d’abord l’état d’artiste : c’est cet enfant doté d’un penchant artistique qui sera versé dans un mode d’art, scellant les conditions sociales, sociétales, culturelles , cultuelles… de là, le mode par lequel se manifeste un artiste est plus en rapport avec la condition de la vie, alors que l’état est plus en rapport avec la vie elle-même. Alors, la limite entre le plasticien et le poète en moi… à mon simple avis, et suite à ce que je viens de dire, quand je suis dans la vie et que je sens ma main autour de sa gorge, là, je suis artiste tout court. Mais quand je suis dans une condition bien précise, je suis poète ou romancier ou sculpteur… et suite à la condition elle-même, si le besoin est de parler, de «verber» -faire le verbe – donc écrire, primera, et si le besoin est de voir alors, c’est la place au «peindre» et au «sculpter».

Quel regard portez-vous sur les arts plastiques au Maroc aujourd’hui ?

Si aujourd’hui se relate au regard, je dirais qu’il y a deux façons de voir l’art plastique au Maroc. La première est interne-externe et est souvent un regard bisounours que l’on entend dire : oui, nous aussi, nous avons Cherkaoui , Gharbaoui, Kacimi, Chaïbia… comme s’il s’agissait de calmer un ego en mal. Une façon qui nous fausse la vision, le jugement et la vraie valorisation.
La deuxième externe-interne est souvent celle des gens, Marocains ou pas, venant d’autres horizons, d’autres contextes culturels, ou ils réduisent ce qui se fait au Maroc au folklorique et donc, un art immature, ou par aliénation à l’art occidental, ils méprisent ce qui se produit, ou tout simplement par ignorance, ils n’hésitent pas devant la mise à mort. Encore une façon embrouillée. Pour moi, je dirais qu’il y a eu un pas géant, ces dernières années, dans le domaine des arts plastiques, que ce soit dans la création ou dans la commercialisation. Mais il reste le plus important à faire,  le travail de fond : avoir une académie nationale, qui tiendra un rôle catalyseur ou teneur de la boussole. Avoir de vrais critiques d’art, de vrais chroniqueurs, plus de galeristes bien concernés par la question de l’art marocain, des experts dans le domaine et bien sûr il faut revoir les programmes scolaires. De là, en sachant ce qu’est l’Histoire de notre pays, je peux dire que les arts en général et notamment les arts plastiques, n’ont pas encore trouvé leurs gènes pour pouvoir bâtir leur propre spécificité.

La poésie a-t-elle sa place dans la littérature marocaine aujourd’hui ? Et trouve-t-elle sa place au niveau de l’édition et de la diffusion ?

J’ai l’impression qu’il y a une chute de tension dans le corps poétique en comparaison avec la fièvre du début des années 1990, que j’ai vécues, pendant toutes les éditions de la Rencontre nationale des jeunes poètes, de Fès-Saïss. Mais, reste à préciser que la métaphore ne quitte jamais l’humain et une grande part de l’existence de l’homme dépend d’elle, que ça soit dans l’avoir ou dans l’être. Peut-être, il ya d’autres nécessités plus envahissantes dans la vie actuelle qui font que la poésie passe à l’ombre. J’aimerais ajouter que dans notre société, l’individu vit beaucoup plus poétiquement qu’un individu suisse, à titre d’exemple, qui vit, lui, sous la dictature du code pénal. Vous savez, l’ennemi du poétique n’est ni l’ignorance, ni l’illettrisme, ni la pauvreté… C’est le quotidien. Hélas, la vie d’aujourd’hui est faite, dans sa globalité, de la lutte contre le quotidien. Malheureusement, la poésie perd sur plusieurs fronts ; elle perd sur le commercial car elle a perdu sur un autre front, celui du texto, sms .. L’électronique.

Que pensez-vous du marché de l’art au Maroc ?

Avant de parler de marché de l’art en tant qu’institution, il faut parler du marché en tant que culture, qu’histoire, c.à.d. un ensemble de références qui jalonnent le processus de développement de l’artistique pur et l’artistique en général. En Europe, par exemple, si nous sommes devant un blanc, vide, nous comprenons que cela est venu du conceptuel, venu du minimalisme,  venu du formalisme qui est, par réduction, venu du cubisme venu, à son tour, de Cézanne… et donc, quand un artiste se pointe sur la scène, il déclare a travers son œuvre sa référence artistique, son dialogue en adoration ou en conflit, en reconstruction ou en destruction… peu importe, du moment que la légitimité est reconnue : Marcel Duchamp a dialogué avec son ancêtre Leonardo Da Vinci à travers la Joconde. C’est le jeu du petit-fils avec le grand-père. Le marché de l’art lui aussi entre  dans ce jeu. Mais, moi l’artiste marocain, arabe, amazigh, musulman, africain.. qui ai-je comme grand-père ? Bon, je dois en créer un.
Dans le marché de l’art au Maroc, il n’y a que la vente des œuvres. Derrière il n’y a que l’argent qui circule.
 
La peinture marocaine est-t elle surcotée ?

Oui, je trouve un peu, du moment que la valeur d’un artiste n’est pas uniquement faite de ce qu’est la création, mais aussi d’autres facteurs paraissent lointains: la puissance monétaire de son pays, par exemple. Il reste à souligner que l’authenticité n’a pas de prix.

Enfin, parlez-nous de vos projets…

Mes projets sont multiples ; en littérature j’ai deux publications en attente, en poésie «Roaat Annour» et en roman «Jaraa». Et une troisième, un essai sur la relation poésie-arts plastiques : continuité-discontinuité.

Pour les arts plastiques, je travaille à un projet individuel en sculpture. Sachant que je suis  président de l’association «Groupe Terre pour les arts plastiques», j’ai à préparer, avec le groupe, la deuxième édition de la rencontre annuelle , qui aura lieu le 22 avril 2016.

Comme projet majeur reste encore la réalisation de mon rêve d’avoir un espace artistique dédié à mon thème majeur, l’expression pastorale, là ou toutes les formes artistiques se côtoient, se conjuguent de la sculpture à la musique ancestrale, du verbe à l’argile… où enfants et adultes peuvent partager le bonheur de la création.

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