ALM : Dr Widadi Mustapha, vous êtes chirurgien cancérologue exerçant dans le secteur libéral depuis 1996, vous êtes également trésorier de l’Amicale des cancérologues. Vous organisez votre 6ème congrès international les 7 et 8 juillet à Fès. Le thème principal retenu est le cancer du sein. Pourquoi ce thème ?
Widadi Mustapha : En fait il y a deux thèmes principaux : le cancer du sein et la prise en charge des métastases hépatiques des cancers du colon et du rectum. Il y a plusieurs raisons pour ces choix. Le cancer du sein est le premier cancer de la femme au Maroc et il augmente de manière constante. On le rencontre de plus en plus chez la femme jeune dans notre pays et présente plusieurs aspects dont certains posent des problèmes diagnostiques et thérapeutiques. Des progrès indéniables ont été réalisés que ce soit dans le domaine de l’imagerie et on citera la Mammographie numérisée et l’I.R.M ou dans celui des prélèvements biopsiques sous échographie quand on doit prélever un petit échantillon du tissu malade pour un examen spécialisé (anatomo-pathologie) ou par Mammatome quand on doit faire une macro biopsie.
En matière de chirurgie, les techniques nouvelles permettent d’obtenir des résultats esthétiques satisfaisants. Le progrès de la chirurgie a connu une évolution très positive puisqu’il est actuellement possible de s’abstenir de prélever les ganglions qui accompagnent la tumeur et qui se trouvent dans le creux de l’aisselle,quand le premier relais ganglionnaire (appelé ganglion sentinelle) n’est pas touché. Ce qui permet d’éviter les complications tels qu’une douleur, infection, gros bras, limitation des mouvements de l’épaule.
Des appareils de traitement par les rayons de plus en plus sophistiqués et précis permettent un traitement optimal avec le minimum de conséquences secondaires. La chimiothérapie de son côté offre de nouvelles drogues de plus en plus efficaces.
Concernant l’autre thème ?
Quant au 2ème thème relatif aux localisations secondaires métastases des cancers du colon et du rectum, il faut souligner que les mêmes progrès permettent actuellement de prendre en charge des patients qui en sont atteints avec de bonnes chances de guérison. Ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.
Est-ce qu’on peut affirmer que le cancer du sein par exemple est guérissable ?
Sur ce point, il faut être prudent car en dépit de tous les progrès réalisés, le cancer du sein reste une affection mortelle si le malade consulte à un stade tardif, par contre découvert à un stade précoce, on peut effectivement le guérir d’où l’importance de la sensibilisation de la population et du dépistage par Mammographie pour le sein par exemple à partir de quarante ans.
L’information en réseau grâce à l’outil informatique est d’un grand apport. A l’instar de ONCORA en France Oncologie Rhône Alpes- ONCOMA est en cours de finalisation. Ces réseaux ont pour but de mieux organiser le système de soins par l’évaluation, la concertation entre les différentes disciplines, la communication et la participation à la recherche. Où en est-on à ce projet très ambitieux ?
Donner les mêmes chances de guérison à tous les malades cancéreux est un défi majeur que beaucoup de sociétés médicales en Europe essaient d’atteindre en fédérant une ligne de conduite qui a l’approbation de tous les spécialistes de la cancérologie. Ceci ne peut se faire que dans le cadre d’un réseau.
En s’inspirant du réseau lyonnais ONCORA, nous sommes en train de mettre en place un réseau appelé ONCOMA. Une convention de collaboration entre ONCORA et ONCOMA sera bientôt signée à Fès à l’occasion de ce congrès international.
Ce projet ne peut pas se faire sans l’adhésion des différentes équipes médicales et surtout le soutien du gouvernement et des ONGs telle que l’Association Lalla Salma pour la lutte contre le cancer. Avez-vous entrepris des démarches pour faire connaître votre projet ?
Nous avons informé tous les cancérologues de notre projet et nous les avons invités à y adhérer .
Nous comptons beaucoup sur le soutien de tous :Association Lalla Salma en tête, le ministre de la Santé, tous les confrères de toutes les disciplines pour voir aboutir ce grand projet et profiter de l’expérience de nos collègues lyonnais qui seront présents à notre 6ème congrès.
Les progrès réalisés dans la prise en charge du cancer sont importants. Profiter de ces progrès coûte très cher et nous avons 40000 nouveaux cas de cancer par an au Maroc. Dans une société souvent démunie comment concilier entre un traitement optimal et des moyens limités ?
Vous avez raison, cependant il existe une solution: au minimum, c’est le diagnostic précoce. Au mieux c’est le dépistage. Je m’explique. Découvert très tôt, au stade du début de la maladie, la conservation de l’organe est possible, la guérison avoisine les 100%. Le coût va sans dire est faible.
Des protocoles thérapeutiques spécifiques pour le Maroc induits par l’ANAM sont à l’étude. Peut-on concilier entre efficacité thérapeutique d’un côté et coût de revient faible de l’autre.
Quelles contraintes y voyez-vous ?
Pour donner les meilleures chances de prises en charge thérapeutique à un malade, le médecin doit rester libre de ses choix thérapeutiques. Cependant, on peut adhérer à cette stratégie à condition de choisir les protocoles efficaces qui ont fait leurs preuves.
Proposer des protocoles thérapeutiques en fonction d’un budget restreint c’est porter un coup fatal à la médecine de qualité.