«Lycéen, j’avais tendance à faire le pitre ». Jilali Ferhati nous parle ici de son premier amour : le théâtre. Une séduction qui remonte à l’adolescence, l’époque où naturellement on se tâte, on cherche sa voie… Et c’était la scène; sous les feux de la rampe, comme on dit. Cette première passion est née à Tanger, la ville qui a adopté Ferhati deux ans après sa naissance (1948) à Aït Ouahi, une région située dans les environs de Khémisset.
Le passage de la ville de Zayane vers la ville du détroit était dû à un ordre de mutation, reçu par son père qui était chef brigadier à la Sûreté nationale, après avoir fait la campagne d’Allemagne, d’Afrique, dans l’armée française, lors de la 2ème Guerre Mondiale. Avec ses sept frères, il élit domicile chez « la Mariée du Nord », qui lui inspira un goût précoce pour les arts de la scène.
Ayant attrapé le « virus » du théâtre à Tanger, c’est à Paris que sa graine de comédien explosera. Parti pour des études en littérature française, il n’oubliera pas le théâtre. « Cela a commencé fin 1968, j’avais alors vingt ans ; à l’époque, je faisais du théâtre universitaire. Plus tard, j’ai fait une heureuse rencontre avec le metteur en scène Ahmed El Maânouni. Il m’a proposé de jouer dans sa pièce Echo-Alpha, ce que j’ai fait avec grand enthousiasme », se rappelle Ferhati, avec un brin d’affection.
Parallèlement à l’activité théâtrale, Ferhati fréquentait les grandes cinémathèques parisiennes : le Palais de Chaillot, la Rue d’ULM, entre autres. Et de nous énumérer les films qu’il a vus: « Le voleur de bicyclette », « Main basse sur la ville », « Les enfants du paradis », « Quai de brume »… En 1977, et après s’être ressourcé à Paris, il rentre tourner au Maroc son premier long-métrage « Brèches dans le mur ». Un premier coup d’essai, un vrai coup de maître ! Ce fut un succès total, et ce n’est pas la sélection de ce film à la Semaine de la Critique de Cannes (1978) qui nous contredira.
La présence du cinéma marocain à Cannes date ainsi de bien longtemps, car, en plus de Jilali Ferhati, Ahmed Maânouni avait également participé à l’époque avec son film « Lyam a lyam » dans la section « Un certain regard » du même Festival. Mais passons. En 1978, l’appel du pays fut irrésistible. « Je voyais mieux mes films en vivant au Maroc qu’ailleurs », nous dit Ferhati. 4 ans plus tard, le cinéaste réalise un nouveau coup d’éclat : «Poupées de roseau », un film de long-métrage sélectionné à la « Quinzaine des réalisateurs », lors du Festival de Cannes 1982.
La même année, le film obtient le Grand prix du Festival du cinéma méditerranéen de Valence (Espagne) et le prix de la réalisation au 1er Festival national du film (FNF), sans compter le prix de l’interprétation féminine décroché par Souad Ferhati (la sœur du réalisateur). Après cette percée, Ferhati change de cap. En 1984, il a été recruté par la station-radio Médi 1 en tant qu’animateur, puis en tant que réalisateur de programmes et, enfin, en tant que chargé d’antenne. « Ce fut, se réjouit-il, une expérience professionnelle bien encadrée, et bien dirigée, au niveau de la réalisation, du montage, etc ».
En 1991, retour à la réalisation. Et ce fut « La plage des enfants perdus », réalisé en pleine guerre du Golfe. Avec ce film, le cinéaste récidive. Il obtient le Grand prix du Festival du cinéma africain de Milan et du Festival du cinéma arabe (Institut du Monde arabe, IMA), sans oublier que ce film a figuré à la sélection officielle de la prestigieuse Mostra de Venise (Italie). Un exploit qui sera compromis en 1994 par un drame familial, après un regrettable accident qui a causé la mort du père, de la sœur et du fils de Ferhati. Ce drame s’est nettement répercuté sur le film « Les chevaux de fortune » alors en cours de tournage. Il aura fallu oublier d’abord ce terrible choc pour que le réalisateur reprenne sa caméra. En 2000, il réalise « Tresses », un film où le cinéaste a affirmé sa vocation d’esthète. En 2004, il donne la pleine mesure de son talent en réalisant « Mémoire en détention ».
Avec ce film, qui revisite la sombre page des années de plomb, Ferhati a signé un chef-d’œuvre incontesté. Comme le confirment les multiples prix qu’il a décrochés : Grand prix du Festival du cinéma méditerranéen de Tétouan, Faucon d’Or du Festival du film arabe de Rotterdam (Pays-Bas), prix du jury du Festival du cinéma maghrébin d’Oujda, Prix du scénario du 28ème Festival international du Caire…
Un parcours très bien garni.













