Culture

Quand l’andalouse se marie à la symphonique

© D.R

En cette ère du clonage, tout mariage dans les arts est proscrit d’avance. Le puriste ne supporte pas le mélange. Pour lui, toute innovation est trahison. En surfant sur le thème du mariage entre la musique andalouse et la symphonie classique, l’Orchestre philharmonique du Maroc qui fêtait cette semaine au Cinéma Rialto, à la manière de Vienne, le Nouvel An, ouvrait la voie à un domaine rarement exploité. Dans la salle archi-comble, les sceptiques, les censeurs et les académiciens de la musique étaient nombreux. Le public l’était aussi, non forcément initié à ce duel entre spécialistes, entre ceux qui pensent que la musique andalouse doit rester andalouse et la symphonie de Vienne suivre son cours tranquille, sur les pas de ses illustres concepteurs, et ceux qui, comme l’Association des amateurs de la musique andalouse au Maroc, croient que la conciliation, toute conciliation, est possible. Anda (Tawachi al Istihal) est, comme la plupart des oeuvres d’art, née d’une rencontre presque fortuite entre Farid Bensaïd et les adeptes de la musique andalouse. La pièce trouve un compositeur tout désigné en la personne de Didier-Marc Garin, responsable artistique et enseignant à l’Ecole internationale de musique et de danse de Casablanca.
Aussi, la plupart des spectateurs, présents les 14 et 15 janvier à la représentation, avaient hâte de se faire une idée et de la thèse d’une rencontre entre musique andalouse du Maroc et musique symphonique occidentale, entre une musique de tradition orale et une musique de tradition écrite. Mais, en sa qualité de Maestro, le chef d’orchestre Jean-Charles Biondi, sait composer aussi avec l’impatience du public. On attendait Anda, on a eu d’abord droit à un survol de quelques grands classiques. Bref retour sur quelques oeuvres immortelles.
L’élan est d’abord donné par la Cavalerie Légère de Frantz Von Suppé, Belge mais, pour l’amour de l’art, devenu Viennois. L’oeuvre de Léo Delibes viendra un instant captiver l’attention du public par le charme d’une musique de grâce et de lyrisme. La transition vers Brahms, rapide, imperceptible, découle presque d’une suite logique des choses. Les «Danses hongroises», ciselées par John Strauss père, dans les années 1850, ne pouvaient avoir meilleure suite que les compositions de John Strauss fils, en particulier «Danse paysanne» qui valut à son auteur le titre encore intact de «Roi de la valse».
Ce fut ensuite Carmen, entre deux longs et interminables standing-ovations du public, suspendu à la baguette d’un Jean-Jacques virevoltant. Cette oeuvre, toute belle, est née de la douleur, celle de George Bizet qui fut sifflé et hué de son vivant et que la critique de l’époque déclara fini un triste jour de mars 1875. Erreur ! Carmen est aujourd’hui l’une des plus célèbres et des plus jouées du répertoire du malheureux Bizet, mort trois mois jour pour jour après avoir vu son oeuvre franchir enfin l’Opéra Comique et gagner son ticket pour la célébrité. Joué sous les applaudissements, Carmen a séduit par ses délicieuses surprises et par ce que les gardiens du temple appellent dans leur jargon « l’écriture harmonique ».
L’orchestre pouvait dès lors, fort des faveurs du public, descendre dans l’antre aux lions et présenter Anda, l’andalouse et la classique. Un oeuvre qui n’est pas sans rappeler, mais dans un autre registre, une autre dimension, Aida immortalisée par l’italienne Sophia Lauren.
Le début est hésitant. Entre la verticalité de la symphonie occidentale et la diversité rythmique de la musique andalouse marocaine, l’accord n’est pas aisé. « Les thèmes inaltérables de la musique andalouse déclinent leur puissance expressive tan disque, explique le spécialiste, la musique occidentale découvre le plaisir de faire discourir plusieurs voies simultanément. Mélanges d’instruments et de genres. Violoncelle contre banjo, babouches contre souliers, costumes contre Djellaba. Le public a applaudi le volontarisme des artistes dirigés par Mohamed Briouel et l’audace de l’orchestre philarmonique du Maroc. Un mariage à renforcer, de nouveaux accords à trouver ça et là. Qu’importe ! Comme le disait l’un des initiateurs de l’expérience, le public qui pour une fois n’était pas cobaye, a terminé le spectacle debout. D’où le ouf de soulagement du président de l’Orchestre, Farid Bensaïd qui pense que le baptême de feu de Anda est bien réussi.
Reste maintenant à franchir la passe et à aller s’exposer aux critiques d’autres pays. Là, ce sera peut-être une autre paire de manches.

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