Dans le nouveau roman de My Seddik Rabbaj
Si la tbourida (cavalerie ou fantasia) est une histoire de familles, elle ne l’est pas dans celle de Yahia, personnage principal du nouveau roman «Différent» de l’auteur marocain My Seddik Rabbaj. Dans cette intrigue, ce protagoniste, brillant cavalier, est père d’un fils, Aziz, qui ne maîtrise pas cet art. Celui-ci a plutôt choisi d’être un homme différent au lieu d’être un cavalier viril. Un comportement qui enrage son procréateur au point de le détester et lui donner envie de quitter sa famille et son entourage. Ce départ laisse cependant au lecteur le soin de découvrir une autre histoire à propos du père.
Un géniteur qui change aussi ?
Au fil des pages, le romancier fait un chevauchement entre l’histoire de Yahia et Aziz. Ainsi, il s’avère que le premier a changé après avoir vendu, avec sa famille, sa terre à un promoteur immobilier avant de partir à Marrakech où il fréquente des milieux auxquels il n’est pas habitué et rencontre une jeune fille qui lui subtilise son argent. A propos du changement éventuel de ce personnage, M. Rabbaj précise à ALM : «Le père appartient à une société où l’homme domine, où il se permet de faire tout ce que bon lui semble loin de penser à la réaction de sa partenaire. C’est une société patriarcale qui tolère toutes les incartades des hommes et réprime les moindres plaisirs de la femme». Dans ce sens, il donne l’exemple d’un rire en public qui pourrait être indiqué de dévergondage, de conduite relâchée et immorale. «D’ailleurs, la fantasia, passion de prédilection du père de Aziz, est un exercice de plaisir pour les hommes et non pas pour les femmes. Cette liberté débridée permet aux mâles de pouvoir fréquenter tous les lieux sans se sentir coupables ou enfreignant une quelconque morale ou une quelconque loi. Encore jeune, ce père hantait les lupanars et courait les lieux interdits.
D’ailleurs, au moment où il ne voulait pas franchir les lignes rouges, il a été la risée des filles de joie. Dans cette perspective, on ne peut pas dire du père qu’il est différent. Au contraire, il est en harmonie avec son éducation», explicite l’écrivain. Quant à Aziz, il est, comme le rappelle le romancier, différent. A son départ pour la ville ocre, il affiche notamment son homosexualité et se lance même en travestissement. «Il est ce qu’on ne voulait pas qu’il soit. Il est le paria, la personne méprisée, le «ielle», la honte… Sa place n’est plus auprès des siens. C’est pourquoi il se trouve dans l’obligation de s’éloigner de la famille. La fréquentation du monde de la nuit est pour lui une obligation et non pas un choix. De ce fait, le père et le fils sont différents même s’ils se rendent aux mêmes lieux. Le premier le fait par plaisir et le second par obligation », analyse l’auteur qui aborde une orientation sexuelle sans détours.
De l’homosexualité sans tabou
Bien qu’il en traite ouvertement dans son oeuvre, le romancier estime que ce penchant est «un sujet tabou dans notre société marocaine». «On n’en parle pas ou que rarement. Elle est pénalisée et considérée comme un crime. Pourtant, des gens souffrent silencieusement, souffrent beaucoup sans trouver personne pour écouter leurs cris, pour voir leurs blessures, pour sentir leurs déchirements, leurs tiraillements, leurs supplices », détaille-t-il en prenant l’écrivain pour une personne qui se balade une loupe à la main. Il a un sens aigu de l’observation et une empathie capable de lui permettre de se mettre à la place des défavorisés. «Ne pas réagir aux tourments des autres est pour moi un renoncement, un éloignement du rôle de l’écrivain, une démission. J’ai assisté à des scènes atroces où des homosexuels étaient humiliés, torturés, rien que parce qu’ils sont différents.
La liberté individuelle est un sujet qui dérange encore au Maroc. Il faut qu’on éduque nos enfants sur les différences, il faut qu’on leur apprenne à l’école et à la maison que le monde est fait par des gens différents. Le respect de la différence est un premier pas vers le vivre-ensemble», confie l’auteur qui indique que l’écriture donne un sens à sa vie. «Je ne peux plus vivre sans lire et écrire. Ce sont les deux choses qui me permettent de m’éloigner de la banalité de ce monde, de le critiquer, de le corriger ou d’en créer un autre à la mesure de mes rêves», révèle-t-il en estimant que l’écrivain ne peut pas vivre sans projet.