Culture

Quand le public crée le spectacle

© D.R

Derrière tous les grands clubs de football se trouve un grand public. C’est le cas du public marocain qui a désormais choisi de faire les choses en grande pompe. «Qui a dit que les Marocains ne connaissaient rien au foot», déclare une jeune Casablancaise présente à la rencontre qui a opposé le Wydad à l’Espérance de Tunis samedi 9 mai. Avant d’ajouter, sourire aux lèvres : «maintenant c’est le public qui crée le spectacle et il revient aux joueurs de l’applaudir». Véritable révolution sur les gradins des stades marocains, le phénomène «tifo» ne laisse pas indifférent. Une animation visuelle et époustouflante qui prend désormais de l’ampleur.
Le tifo est un énorme visuel aux couleurs ou aux symboles de l’équipe supportée, formé par des pancartes que le public arbore. Une sorte de puzzle géant aux pièces humaines. Etymologiquement, le mot tifo est d’origine italienne. Il signifie «typhus» au sens propre et fantasme ou enthousiasme au sens figuré, d’où le nom «tifosi» donné aux supporters italiens. Pour l’instant, la discipline du football s’est accaparée la part du lion dans l’usage de cette méthode d’encouragement. Le phénomène des tifos est apparu en Italie et dans le sud de l’Europe à la fin des années 1960 et au début des années 1970, exactement à l’époque de l’émergence des mouvements Ultras (les supporters ardents d’une équipe). La culture des tifos est ainsi liée à ces groupes qui occupent souvent les gradins populaires et soutiennent leurs équipes avec ardeur. Peu de temps après, les tifos se sont propagés dans l’ensemble de l’Europe, surtout dans les années 1970 et 1980. Et le Maroc n’est pas en reste. L’exposition du premier tifo sur les gradins d’un stade marocain a eu lieu au lendemain de l’émergence des premiers groupes Ultras en 2005. «Les tifos se fixent comme objectif, tout d’abord, de remonter le moral des joueurs, car l’Ultra n’est pas un supporter ordinaire, il s’agit du 12ème joueur qui intervient directement sur le cours de la rencontre. Aussi, le tifo n’est pas uniquement un jeu d’animation mais aussi un drapeau géant qui transmet un message», philosophe Hamza, un jeune membre du groupe Ultra, les Green Gladiators (supporters du Raja). La question à se poser, c’est comment se prépare au juste un tifo? La mise en œuvre d’un tifo nécessite un travail en amont qui va de quelques jours à plusieurs semaines, suivant la nature du tifo à réaliser. Tout d’abord, les groupes des supporters se réunissent plusieurs jours avant le match. Lors de cette réunion, les membres du groupe se mettent d’accord sur l’idée du tifo.
Une fois la proposition validée, le groupe se penche sur le matériel. Les tifos sont généralement fabriqués à base de feuilles de papiers colorés, de feuilles en plastique, mais aussi de cartons, de voiles ou de drapeaux.
L’exposition du tifo ne vient pas spontanément des supporters. Au fait, ce sont les membres des Ultras qui se répartissent sur les gradins plusieurs heures avant le début de la rencontre et qui déclenchent le processus parallèlement à l’arrivée des joueurs sur la pelouse. La mise en œuvre de ce spectacle n’est pas sans poser quelques difficultés de nature financière. La confection d’un tel visuel nécessite la mobilisation de fonds énormes en déphasage avec les moyens financiers des groupes de supporters. Les Winners (supporters du Wydad), ont mis en vente des T-shirts, des bombers (jaquettes spéciales pour supporters), des DVD, des CD ou encore des écharpes aux couleurs de l’équipe.
La commercialisation de ces produits sert à financer les activités du groupe, notamment la confection des tifos. En dehors de cette activité rentable, la caisse du groupe est renflouée également par les frais d’adhésion des membres. C’est le cas aussi pour les Rajaouis qui tablent sur les cotisations des adhérents. Une cotisation mensuelle de 50 DH par personne qui peut s’élever à 100 ou 200 DH si la conjoncture nécessite la mobilisation. D’après les groupes, le montant global de confection d’un tifo à base de toile s’élève à plus de 40.000 DH sinon le même en plastique revient à 20.000 DH. Tout dépend de la dimension, des matériaux et des ressources humaines impliquées.
Mais le jeu en vaut la chandelle. Les supporters du Wydad ont réussi l’exploit de réaliser le tout premier tifo couvrant l’intégralité du plus grand stade du Maroc avec les couleurs rouges et blanches. Pour leur part, les supporters du Raja n’ont rien à envier aux Wydadis. Ils les avaient déjà devancés en exposant le tout premier tifo qui a recouvert entièrement les gradins des Rajaouis, lors du derby des deux équipes. Des exploits d’un côté comme de l’autre et cela commence à faire l’objet d’une rivalité entre les groupes. «Aujourd’hui, la compétition entre les supporters des clubs se fait par rapport à la dimension de leurs tifos, mais d’ici quelques années, lorsque le visuel sera acquis, il ne sera plus question de dimension mais d’idées et de créativité», affirment les Green Gladiators. «On se déplace avec notre équipe non seulement pour l’encourager mais aussi pour donner une bonne image. Nos tifos ne remplissent pas que la fonction esthétique mais ils se veulent aussi porteurs de messages», précise Mustapha, membre des Winners. Un plaisir de deux minutes, qui traduit un amour de tous les jours.

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