Il vient d’être désigné à la tête de la direction des arts. La nomination de M. Abkari est appréciée dans le milieu des artistes. L’occasion pour lui de révéler son parcours et de s’exprimer sur son apport. Rencontre avec un directeur hors pair qui porte bien son nom.
ALM : En quoi envisagez-vous de vous distinguer par rapport à vos prédécesseurs?
Hicham Abkari : Tout d’abord, je voudrais bien saluer le travail qui a été effectué par mes prédécesseurs. Cette direction existait déjà avant moi. Donc il y a eu du travail qui était fait. Plutôt, mon objectif c’est surtout de faire du «fine-tuning» (des ajustements), d’installer des procédures tout en respectant la légalité de l’action culturelle. Là je tiens à souligner la gestion culturelle. C’est une gestion publique de la culture. Il faut quand même que ce soit très carré et cette rigueur rejoint quelque part celle artistique. Donc, il y a là les fameuses règles de l’art. En même temps, cela ne va pas être trop coincé mais rigoureux. Et c’est là où cela va se jouer. Il s’agit d’avoir à la fois les procédures qui avaient toujours eu lieu et cette facilité donnée aux artistes, mais également installer une certaine gouvernance et respecter les textes, trouver des solutions légales pour débloquer certains projets, essayer de proposer aussi, pourquoi pas, des amendements. Parfois, on se retrouve avec des textes qui sont caducs avec tous les changements qu’a connus le monde notamment en termes de digital. Le secteur culturel en est impacté. Il s’agit pour moi en même temps d’être une force de proposition mais également ramener une expertise que j’ai eue ailleurs. En fin de compte, nous travaillons pour le même pays et cette dynamique a été créée notamment avec le ministre.
Alors, pourrions-nous avoir une idée sur ces procédures que vous voulez installer?
Par exemple, l’octroi d’exploitation de certains sites culturels qui relèvent de la direction des arts. Aussi l’organisation de certains événements majeurs, leur donner un cadre outre celui légal qui existe déjà et à mettre en œuvre. Donc des cahiers de procédures pour que la relation entre les divers intervenants soit le plus fluide possible. Il s’agit d’identifier les processus qui sont un peu longs. Donc une réactivité par rapport aux demandeurs soit l’artiste, soit le citoyen. Cela veut dire implémenter des procédures de contrôle qualité pour la gestion culturelle, intégrer du management moderne, entrepreneurial au sein de la gestion publique de la chose culturelle.
Dans le milieu des artistes, certains sont très contents de votre nomination. Qu’est-ce que vous en pensez ?
D’abord c’est une reconnaissance des artistes qui n’est pas facile. Ils ont cette spécificité de ne pas vivre dans le mensonge. Lorsqu’ils s’expriment à l’égard de ma personne, cela fait quand même plaisir et chaud au cœur ! Ce sont des personnes très diverses. Des metteurs en scène, des réalisateurs cinéma, des artistes-peintres, des acteurs, des dramaturges, des écrivains, des critiques que je connais depuis plus de 32 ans parce que j’ai débuté dans les cinéclubs. Après j’étais dans une maison d’édition, aux complexes culturels. Je gérais une vidéothèque, j’ai produit des spectacles de danse urbaine, j’étais dans tout ce qui est hiphop, mais en même temps je présidais une association d’opéra lyrique. Et en même temps j’étais vice-président au niveau de la CGEM dans la fédération des industries culturelles. J’étais aussi au théâtre Mohammed VI et directeur artistique du grand festival de Casablanca. C’est ce foisonnement, ces espaces qui font qu’à chaque rencontre, il y a quelque chose de beau qui se crée en termes de relations. Il y a aussi l’aspect gestion, parce que nous essayons d’être des facilitateurs. C’est quelque part une forme de médiation. Mais moi je dis que c’est un espace de circulation.
Vous êtes connu pour être un fin connaisseur des industries culturelles et créatives au Maroc. Quel diagnostic chiffré en faites-vous?
En fait on attend des chiffres qui vont incessamment être donnés. Il y a ceux du HCP, mais ils compilent des données via un comité multidépartemental concernant le profil culturel du Maroc à l’horizon 2030. Je m’appuie aussi sur le dernier rapport sur l’informel au Maroc repris par la Banque mondiale. Dans ce sens, l’écosystème culturel au Maroc est nécessairement un secteur économique impacté par l’informel. Les secteurs qui sont vraiment dans le formel c’est le cinéma/ audiovisuel et l’édition. De leur côté, il y a des filières qui peinent vraiment à se structurer comme les spectacles vivants, théâtre, musique et arts visuels parce que l’arsenal juridique ne suit pas. Quand on parle d’immatériel, c’est très difficile. En termes de dépôt de marque, l’artiste ne dépose pas au Bureau marocain des droits d’auteur (bmda) (recouvrement et répartition) là on parle de l’artiste en tant que marque (personne physique). Déjà pour qu’il puisse se gérer en tant que marque, il faut qu’on ait une législation très précise. Nous avons également besoin d’agrégateurs nationaux qui sont des organismes. L’artiste peut signer pour la diffusion sur toutes les plateformes de streaming au monde. Donc le diagnostic est là, il y a des procédures de suivi à épurer pour être agiles. Ce qui nous manque c’est l’agilité en termes de management parce que cette agilité va nous permettre d’avoir une administration culturelle rapide en termes de réaction sans être coincée par des procédures qui vont nuire à l’organisation de telle activité culturelle qui serait bénéfique pour le citoyen aussi. C’est là le défi. Nous avons l’expertise. Il faut donner aussi l’arsenal juridique. C’est là notre rôle et nous avons la chance d’avoir un ministre jeune qui va être à l’écoute et qui va tracer.
Parlons un peu de la carte d’artistes. Certains créateurs estiment que le fait de l’octroyer à un grand nombre est une pagaille. Que répondez-vous à cela ?
Je crois que la pagaille est dans la bouche de ces gens-là qui parlent. Parce que, pour éviter la pagaille, il faut aller aux textes de lois. Il y a la loi 68-16 sur l’artiste et les métiers artistiques et les décrets qui spécifient les métiers. Là on parle de carte professionnelle qui prouve que la personne, qui la détient, reçoit une rémunération contre son travail. Ces artistes qui l’ont cela ne veut pas dire que l’artiste est seulement celui qu’on regarde chanter à la télé. Mais derrière il y a les régisseurs, les administrateurs, les scénographes, les musiciens qui accompagnent le chanteur. Ces gens-là, il y a un petit monde qui les connaît. Et pour avoir cette carte, il y a des documents à fournir, ce qui compte c’est la preuve de la rémunération.
Cette année, on a vu l’apparition de nouveaux festivals dans des villes comme Safi entre autres. Est-ce par excès de budget ?
N’oublions pas qu’il y a eu une petite pause qui a impacté l’action culturelle c’est la Covid et le confinement. C’est à ce moment-là que les gens ont ressenti vraiment la nécessité et ont pris conscience de leur vie antérieure et de toutes les activités qui leur permettaient de se rencontrer et de se voir. D’où la multiplication de festivals soutenus par de l’argent public et de festivals privés mais qui sont aussi soutenus par les autorités locales. Cette appétence concernant le contenu culturel, on en a pris conscience après la Covid. Les gens en avaient pris l’habitude que c’était devenu une banalité. Toutes ces pratiques font qu’il y ait un foisonnement culturel. Mais il y a aussi la véritable prise de conscience de la valorisation du patrimoine immatériel préconisée par SM le Roi. Tout cela fait qu’il y ait une diversité phénoménale des festivals à travers le Maroc.
Et quelle évaluation en faites-vous en termes d’impact économique ?
Cela impacte l’économie non seulement locale mais aussi sociale. C’est aussi un transfert de richesses, une certaine masse de personnes qui va partir de plusieurs villes pour se retrouver dans une ville précise en un laps de temps va dépenser de l’argent là-bas. C’est ce transfert, avec la multiplication de festivals, qui fait que cette richesse circule au sein du territoire national. Ces impacts sont difficiles à quantifier avec des chiffres, d’où la nécessité d’installer des indicateurs pour pouvoir récupérer toute cette data en termes d’impact direct ou indirect de création d’emploi pour que ces données soient modélisées et avoir des chiffres pour étudier l’impact d’une politique culturelle avec des résultats. On pourra ainsi négocier pour une augmentation des fonds pour l’action culturelle. Ce qui est bien c’est qu’on a commencé.
Alors ne serait-il pas judicieux que ces 1ers festivals soient aussi organisés dans les zones du séisme ?
Je tiens à souligner que même les artistes impactés qui avaient des obligations avec le ministère, avaient reçu un soutien. Ce sont des aspects que les gens ne connaissent pas.
Un dernier mot ?
Nous avons des formations pour former des jeunes aux métiers artistiques, de la gestion et de la valorisation du patrimoine. Ces jeunes ont leur place dans l’administration publique à dispatcher au niveau du territoire national. Ce serait bien de valoriser ces formations. On perdrait ces RH parce que nous avons des défis à venir. Nous avons les profils qui pourront prendre la relève. C’est une politique publique globale qui serait bénéfique pour le Maroc et ces jeunes.