Rencontrée en marge de la master class organisée dans le cadre de la Caftan Week 2025, Sara Chraibi, styliste marocaine, partage avec ALM sa vision de l’évolution du caftan marocain ainsi que les défis et les opportunités liés à l’artisanat et au rayonnement de la mode marocaine à l’international.
ALM : Aujourd’hui le caftan inspire à l’international, comment peut-on l’industrialiser tout en préservant sa richesse ?
Sara Chraibi : A mon avis, le caftan marocain évolue selon deux points de vue. D’un côté, il s’industrialise, de l’autre il devient de plus en plus niche et de plus en plus haute couture. Ce qui est important c’est que les deux points de vue coexistent ensemble. Ce qui fait la richesse du caftan marocain est à la fois qu’il puisse être bon marché partout, aussi bien sur les marchés locaux que sur les marchés internationaux, mais aussi le fait qu’il soit extrêmement sophistiqué avec des savoir-faire incroyables. C’est cette dualité qui fait sa particularité. Pour qu’il soit porté à l’international, il faudrait qu’on puisse développer un point de vue «mode » autour de cet objet d’artisanat et de culture.
Alors que plusieurs pays cherchent à s’approprier l’image du caftan, comment pouvons-nous transformer ce patrimoine en un levier stratégique pour affirmer et préserver l’identité marocaine sur la scène internationale ?
Personnellement, je ne crois pas du tout à l’appropriation culturelle. à mon sens, tout un chacun est libre de s’en inspirer et de créer avec les références dont il dispose. Le Maroc est terre de caftan. C’est indéniable ! Ce savoir-faire est pratiqué chez nous. L’aqida est vivante chez nous. Si cela inspire les autres pays, tant mieux ! Pour moi, il ne faut pas avoir de chauvinisme à ce sujet-là. De toutes les manières, on n’est pas en danger. Il faut être serein par rapport au fait que notre artisanat est tellement fort. C’est dans notre pays qu’il est vivant et c’est le Maroc qui l’ a fait fleurir. Est ce qu’il y a un autre festival caftan dans le monde ? Il n’y en a qu’au Maroc. Est ce que l’aquida et sfifa se fabriquent ailleurs ? Elles ne se font que chez nous. On n’a pas besoin de s’occuper des autres. Occupons-nous déjà de nous-mêmes, de nos artisans en leur donnant de la dignité et en faisant en sorte qu’ils soient bien payés. Le reste suivra.
Justement, est-ce que l’artisan marocain est valorisé dans cette chaîne de production ?
L’artisan marocain est un très grand débrouillard. Dans ma pratique personnelle, j’essaie de ne pas travailler à la tâche, c’est-à-dire de prendre à chaque fois un artisan et de lui confier une pièce. Ce qu’on appelle en dialectal «Bla’atach» qui veut dire que l’artisan est assoiffé. Il a juste besoin de travailler, de remettre la pièce très vite pour en prendre une autre. Personnellement, je crois au travail sur le long terme, à l’artisan qui ouvre sa propre boutique, à l’artisan salarié. Je respecte toutes les formes d’artisanat, mais je crois qu’on doit s’engager. Lorsqu’on est un designer, on a une responsabilité de s’engager formellement et éthiquement auprès des personnes qui travaillent avec vous, qu’ils aient une couverture sociale, qu’ils aient un salaire décent et qu’il y ait un engagement de part et d’autre. J’attends que l’artisan soit engagé avec moi, qu’il vienne le matin qu’il prépare son travail correctement. Mais lui aussi peut attendre de moi que je fournisse le salaire qu’il faut, que je fournisse le respect qu’il faut et la sécurité qu’il faut. C’est une complémentarité. Pour ma part, je ne me sens pas en dehors de ce système pour en parler comme si j’étais autre chose qu’un artisan. Je suis un artisan. Et donc j’aime que la voix de l’artisan soit portée avec dignité. La dignité commence d’abord par la dignité financière, par l’autonomie et par avoir le pouvoir de vivre dignement de ce qu’on sait faire de ses dix doigts.
Quels sont les freins qui font que la mode marocaine soit moins visible sur la scène internationale, sachant qu’il y a un fort engouement pour le fait main marocain et pour le caftan surtout ?
Pour que la mode marocaine se développe, il faut qu’elle soit diverse. L’idée étant d’encourager toutes les facettes du Made in Morocco. Je pense que là où il y a une seule vision institutionnelle, il y a quelque chose de sclérosé. Il faut laisser les artisans faire. Il faut laisser les artistes et les créatifs faire. Il faut leur donner une scène et les moyens pour s’exprimer. Par la suite la vie fera le tamisage. Le meilleur restera. Les bonnes idées sont faites pour vivre et pour résister. Et si une idée ne vit pas, c’est que ce n’est pas encore le moment ou peut-être n’est elle pas encore aboutie. Il faut qu’elle mûrisse. Pour que le Made in Morocco soit fort, il faut donner un terreau de créativité important.
Quelle histoire véhiculez-vous à travers vos créations ? Et quelles sont les techniques que vous employez aujourd’hui ?
Je suis une marque marocaine, enracinée dans une tradition du «mix à la marocaine» et qui aspire à porter son message vers le monde de façon contemporaine. J’aime raconter de nouvelles histoires avec d’anciennes recettes. J’aime faire une mode contemporaine. Parce que j’estime que la mode traditionnelle n’est pas en danger. Si c’était le cas, peut-être que je me serais mis un point d’honneur à la laisser la plus traditionnelle qui soit. Mais comme j’estime qu’elle n’est pas en danger, je pense avoir une liberté de ton dans mon expression artistique et créative.