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Randa Maroufi : «Ma recherche se situe entre le reportage, le cinéma et l’étude sociologique»

© D.R

Entretien avec Randa Maroufi, artiste plasticienne et réalisatrice

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La dimension formelle et théâtrale du film est un gage de liberté par rapport au sujet. Je désirais m’éloigner le plus possible de l’image médiatique habituelle qui couvre ce lieu, pour laisser aux personnes filmées la possibilité de s’exprimer dans un espace-temps autre que celui de la frontière.

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ALM : Votre dernier court métrage «Bab Sebta» sera présenté à la Kulte Gallery à Rabat et à plusieurs festivals internationaux dont le Festival Actoral à Marseille, au Festival 25fps en Croatie, au Black Canvas FCC au Mexique, aux Rencontres cinématographiques de Cerbère-Portbou en France… Parlez-nous de l’idée de cette œuvre…

Randa Maroufi : Mon film «Bab Sebta» est une suite de reconstitutions de situations observées à la frontière de Sebta. Il est entièrement tourné dans un studio à Azla avec de vraies personnes travaillant réellement à la frontière. On voit trois différents moments de la traversée pour les porteurs et porteuses de la marchandise mais aussi pour des personnes qui traversent la frontière (touristes ou autres). Des moments d’attente, de préparation de la marchandise au niveau des hangars, le moment de ce que j’appelle libération, quand une avalanche humaine se produit.

La dimension formelle et théâtrale du film est un gage de liberté par rapport au sujet. Je désirais m’éloigner le plus possible de l’image médiatique habituelle qui couvre ce lieu, pour laisser aux personnes filmées la possibilité de s’exprimer dans un espace-temps autre que celui de la frontière. Loin des vrais lieux, je souhaitais donner aux travailleurs une importance qu’ils ont beaucoup moins dans le vrai paysage. Le film a été tourné avec 2 points de vue différents, un zénithal et un frontal. Le choix du point de vue zénithal me semblait important, adéquat et plus juste pour analyser un sujet lié à la séparation de deux territoires, cela permet de se rendre compte de la dimension cartographique du projet, cela peut rappeler l’architecture, la topographie mais aussi la surveillance.  Les travellings frontaux me permettaient d’obtenir une finesse des détails et des situations, mais aussi laissent une place à la figure humaine et dévoilent les visages.

Pourquoi avez-vous choisi ce thème? 

Il est important pour moi de parler du côté anecdotique du projet parce que cela a joué d’une manière ou d’une autre dans mon désir de vouloir travailler sur ce sujet peut-être. Je suis enfant d’un inspecteur de douane, plusieurs membres de ma famille travaillent dans l’import et l’export, la douane, la frontière de Sebta. Il nous est déjà arrivé de consommer de la marchandise de saisie douanière en provenance de Sebta. J’ai vécu plusieurs années dans la région de Tanger et étudié 4 années à l’Institut national des beaux-arts de Tétouan. J’ai toujours été marquée par l’influence espagnole sur cette région, quasi omniprésente, que l’on trouve dans le dialecte régional, le mode de vie, et particulièrement dans la culture de consommation.  En décembre 2015, j’ai eu l’occasion de séjourner à la résidence d’artiste Trankat sous l’invitation de Bérénice Saliou, directrice artistique actuelle de l’ICI.  J’ai passé trois semaines à faire des allers-retours à pied et en voiture pour observer «le ballet» des individus autour de la frontière de Bab Sebta. Le territoire très particulier de Sebta génère des rapports humains hors du commun. Il y a une perte de repères, une folie de l’espace. Ma volonté est de retranscrire cette tension si particulière ressentie sur ce petit territoire qui sépare l’Afrique de l’Europe.

A l’initiative de l’Institut des cultures d’Islam (ICI), vous dévoilez également en plein air votre photographie «Place Houwaert». Pouvez-vous nous en parler ? 

L’idée de ce projet est née en 2016 lorsque je prenais la ligne 2 du métro parisien en passant par la station Barbès Rochechouart. Je remarquais l’occupation majoritaire masculine dans une partie du paysage. Ce regroupement d’individus m’a donné l’envie de travailler sur le détournement des genres dans ces situations présentes. En 2018, j’ai été invitée par Moussem Nomadic Arts Centre à Bruxelles afin d’adapter le projet au territoire bruxellois. La photographie intitulée «Place Houwaert» est le fruit de cette résidence. Elle est le début de la série «Les intruses». C’est une mise en scène où des femmes «intruses» occupent l’espace d’un café communautaire à Bruxelles. Elles empruntent la même gestuelle, la même posture que celles des hommes : elles jouent aux cartes, regardent un match de foot dans l’indifférence générale. En occupant les terrasses, elles se mettent en vitrines dans un espace public qui exclut le genre.

J’avais parlé de mon idée de 2016 à Bérénice Saliou, directrice artistique de l’ICI, et dès qu’elle a vu passer l’appel à projet «Embellir Paris» lancé par la ville de Paris, elle a vite pensé à mon travail. L’ICI m’a donc proposé de créer une œuvre répondant au contexte de Barbès. Les images installées le long du boulevard de la Chapelle cherchent à susciter une prise de conscience sur l’occupation majoritairement masculine de certains sites. J’ai proposé à des femmes d’inverser les rôles lors d’une prise de vue. Les femmes ont remplacé les hommes. Bien que cette représentation aille à l’encontre des intentions égalitaires, je propose avant tout d’interroger le partage de l’espace public entre les genres. Le projet est visible pour la durée d’une année sous le métro aérien de Barbès, au niveau de la promenade urbaine Barbès-La Chapelle.

Pouvez-vous nous expliquer le processus de vos créations et la genèse de vos œuvres ?

Ma recherche se situe entre le reportage, le cinéma et l’étude sociologique, que je poursuis en développant différents projets axés sur la question du genre et le statut de l’image. Je développe des problématiques liées à la transition, à la surveillance, au réveil et à l’affranchissement. En quelques mots: un lieu, des gens, une caméra. Un travail se construit au fur et à mesure de rencontres, ou s’appuie parfois sur une image que je trouve sur les réseaux sociaux, un souvenir de la vie de tous les jours ou un événement fugace. Lorsque j’ai saisi cet instant, je couche l’idée sur le papier, puis, dans un second temps, après l’avoir digérée et imaginé un moyen pour traiter le sujet, j’y reviens. Ensuite je fais des repérages. L’idéal est de pouvoir travailler avec les personnes présentes sur place, ou qui connaissent bien le lieu. J’ai besoin d’être entourée, tant pour le contenu que pour sa réalisation concrète. Seule, il me serait impossible de produire mes films. J’ai besoin d’échanger en permanence, depuis les prémices d’un film à son montage, en passant par le tournage. Puis j’essaie de faire partie du paysage, d’habiter le lieu, de créer des liens avec les gens, plutôt de confiance que d’amitié. J’explique aux gens dès le départ que nous allons travailler ensemble. J’essaie de rester bienveillante. Je ne sors jamais ma caméra. Mon téléphone suffit pour quelques images prises discrètement sur place. Je prends des sons, des notes. J’attends. J’échange beaucoup avec les gens, je m’intéresse à ce qu’ils font. Je leur montre ce que j’ai déjà fait pour qu’ils aient une idée de ce que nous pouvons faire ensemble. Petit à petit, les gens sont de plus en plus curieux, motivés, et veulent commencer le tournage. Le jour J, l’équipe technique arrive, ainsi que le matériel. Pas d’inquiétude. Les gens sont contents. Je sors cette caméra enfin et on tourne.

Préparez-vous d’autres projets ? 

Je suis actuellement en résidence au Québec où j’expérimente des choses et je prépare deux expositions, la première, solo au Centre d’Art l’Écart, et une seconde au Musée MA avec l’artiste Martin Beauregard, et sous le commissariat de Marie Moignard. Je prépare aussi une version serbe de la série «Les Intruses», j’irai à Belgrade en novembre pour des repérages. Et je pense déjà à une version marocaine (j’avais repéré un décor à Martil et quelqu’un m’a parlé d’un autre décor intéressant à Marrakech).

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