«Joutéya», «L’khourda» ou encore «L’bali», la friperie, «vieux habits, linge usagé», selon le dictionnaire, est actuellement en vogue. Par les temps qui courent, elle a fini par briser le tabou et les préjugés qui l’entouraient.
La cherté de la vie, les différentes charges domestiques, les traites de la voiture et du nouveau congélateur, la scolarité des enfants et les imprévus siphonnent le budget des ménages et l’argent réservé à la sape rétrécit comme peau de chagrin. Peu à peu, la friperie qui était réservée aux gueux et aux «Zoufriyas» (ouvriers) s’est quelque peu décomplexée, surtout que le «neuf» a aiguisé ses dents et la qualité du prêt-à-porter laisse, parfois, à désirer.
A Casablanca, comme partout au Maroc, il n’est pas surprenant de croiser dans la rue une jeune fille bien mise dans un ensemble griffé, portant au bras un sac de grande marque avec une paire de mocassins en cuir cousus main, le tout provenant de la «Joutéya». Comme le dirait l’autre, la friperie ça marche fort. Son commerce prend de plus en plus d’ampleur, à tel point que certains quartiers ou villes sont reconnus comme étant le centre (d’intérêt) de ce commerce. Si à Tanger la joutéya de Casabarata est parmi les lieux les plus visités de la ville du détroit, à Lâayoune sa consœur de «L’hay Alhajari» est un lieu de rencontre incontournable où, après la prière d’Al Asr, la population de la ville vient marauder et fouiner dans cette véritable caverne d’Ali Baba. Même scénario dans la joutéya de Sidi Said de Méknès, souk Laghzal de Rabat ou souk Al Had d’Agadir.
Les populations se ruent vers ces marchés pour fouiller, choisir et marchander les articles qu’elles y trouvent. Une véritable chasse au trésor. En ces lieux, on trouve des vêtements de tout genre, pour adultes comme pour enfants. En somme, tout ce qui constitue une garde-robe complète : chaussures, pantalons, robes, jupes, chemises, tee-shirts, ceintures, chaussettes, dessous de vêtements, etc… Les articles les plus prisés sont les vêtements pour enfants et bébés, le «Jean» dans ses différentes composantes (pantalon, robe, jupe, salopettes) et les «body». Cette «joutéya mania» s’explique, selon Nourddine K., professeur dans un établissement secondaire de Méknès, par le fait que «le consommateur moyen y trouve toujours ce qu’il désire et à des prix réduits». Ce père de quatre enfants qui se définit comme un accro de la friperie, précise que son salaire d’enseignant ne lui permet pas d’acheter les vêtements pour sa progéniture dans les magasins du prêt-à-porter, faisant observer avec fatalisme que «le besoin brise les barrières psychologiques». Dans la joutéya de Douar Al Guarâa de Rabat, une dame à la quarantaine souriante parle sans complexe de la friperie: «moi j’aime beaucoup les grandes marques, mais je n’ai pas assez d’argent pour m’offrir ces articles de luxe notamment les tailleurs et les sacs signés. Ici, je peux choisir à ma guise, marchander et repartir avec un article portant la griffe d’un grand couturier». Le commerce de la friperie prend sa source hors de nos frontières, indique un commerçant de souk Laghzal de Rabat qui révèle que les balles de la friperie proviennent de Nador.
«C’est Nador qui est la source. La marchandise vient dans des conteneurs et tous les semi-grossistes de ce commerce y vont pour s’approvisionner et de là, ils arrosent l’ensemble du territoire national», poursuit ce jeune marchand qui pratique ce commerce depuis six ans.
Selon lui, les prix des balles sont fixés en fonction de la marchandise et oscillent entre cinq mille et six mille dirhams. «Les balles les plus chères, ajoute-t-il, sont celles des dessous (soutien-gorge, vêtements de nuit), les chapeaux et les chaussures, parce que plus nombreux». Avant de vendre sa marchandise, il fait plusieurs tris pour en ressortir «les meilleures pièces». «C’est un commerce qui requiert de la prudence. Il faut connaître le fonctionnement sinon tu ne t’en sors pas. Les balles ne contiennent pas toujours que des articles en bon état. Ainsi, les prix sont fixés en tenant compte de ces aspects», relève Khalid A. de la joutéya de Douar Al Guarâa. «Les deux premiers choix sont revendus plus chers dans l’espoir de rattraper les pertes au niveau des marchandises irrécupérables», souligne ce jeune fripier qui a laissé tomber ses études secondaires pour s’adonner à ce commerce.
L’adage du «malheur des uns fait le bonheur des autres», peut aisément s’appliquer au marché de la friperie dont le développement, ces derrières années, ne fait pas que des heureux. Tout en permettant aux économiquement faibles d’avoir accès, à prix cassés, à une gamme variée d’habillement, il constitue une menace pour les tailleurs et les magasins du prêt-à-porter. Maria R, gérante d’une boutique de vêtements à Meknès, reconnaît que la friperie a porté un sérieux coup à son commerce. Les couturiers ne sont pas mieux logés et, de plus en plus, leurs clients se détournent d’eux pour aller vers les marchés de friperie qui fleurissent un peu partout et qui proposent des articles dont la qualité, souvent, la dispute à ceux qu’on retrouve dans les magasins. «Même si ce marché offre d’énormes possibilités aux ménages moyens, il peut représenter un danger pour ceux qui s’y approvisionnent. L’origine des articles peut constituer un facteur de propagation de certaines maladies», tranche péremptoire le propriétaire d’une boutique de prêt-à-porter qui a pignon sur rue à Casablanca.
«Faux», s’indigne Hajja, fripière à souk Al Guarâa de Rabat qui conseille aux adeptes de la joutéya «de bien laver les articles de seconde main avec du savon et de l’eau chaude de préférence et de bien les exposer au soleil dont les rayons tuent les microbes».