Bienvenue au Douar Taourirt, modeste commune rurale d’Asni, à une cinquantaine de kilomètres de Marrakech. Asni, ses pommiers, ses paysages et surtout, depuis une dizaine d’années, un atout décisif: une dynamique associative de développement rural, déterminée et enthousiaste, qui vaudrait presque à Taourirt le statut de village témoin de ce qui se fait aujourd’hui sur le terrain, en complément indispensable de l’action des pouvoirs publics dont chacun, ici à Taourirt, a appris à connaître les limites.
Taourirt, c’était notamment jusqu’alors, une colline en surplomb du village et qui ne produisait que des nuisances. Cette colline pelée, au sommet de laquelle cinq arbres morts témoignent funestement de la forêt qui autrefois s’y dressait, cela fait plus de trois générations qu’on la connaît ainsi. Mais l’on se contentait de déplorer les ruissellements par temps de pluie, aggravés par l’absence de végétation. Avec pour seuls recours le colmatage des habitations et le déblaiement désespéré après les inondations.
Grâce à l’action de l’Association Tiwizi pour le développement et l’environnement, avec un financement de l’Agence de développement Social (ADS) et le soutien technique de la SPANA, tout cela n’est plus qu’un mauvais souvenir. La colline a été aménagée en terrasses, d’où émergent des pousses de différentes essences : caroubiers, eucalyptus et acacias ont fait l’objet d’une plantation méthodique. L’acacia par exemple est destiné à alimenter les 50 ruches prévues au programme d’activités de cette association villageoise bien décidée à ne plus subir la fatalité du sous-développement. Il est même question de faire pousser de l’arganier, 20 plants pour commencer. Au total, une garantie concrète de sérénité pour le village lassé de subir la cascade des intempéries et une solide perspective de prospérité : après six années de maturation, un caroubier produit des cueillettes pouvant rapporter jusqu’à 6000 Dh par an.
On nous explique d’ailleurs que l’importance de l’enjeu a conduit les responsables de l’association à mettre les choses au point : pas question de livrer la future forêt de Taourirt à la voracité des troupeaux ! Les bergers, leurs chèvres et leurs vaches sont donc prévenus: il en coûtera 100 Dh d’amende à quiconque s’y risquera.
Hassan Edderjoun, fonctionnaire à la Direction des Affaires rurales du Cercle d’Asni et président de l’Association Tiwizi pour le développement et l’environnement, peut être fier de ce qui a été réalisé sur cette colline : un remarquable projet de reboisement, alimenté par une installation de pompage préalablement mise en service à cet effet. Tiwizi est fière d’avoir reçu un jour le Prix Hassan II de l’Environnement. Un prix qui est venu récompenser six années de patient investissement au service du bien-être et de la prospérité des villageois de Taourirt. Parfois contre la volonté des anciens, «nos pères, précise Hassan avec un sourire entendu, qui préféraient laisser les choses en l’état, quand bien même il était déplorable, plutôt que de prendre le risque d’ouvrir la voie à des intrusions étrangères…»
Plus raisons donc de s’arrêter sur une si belle lancée ! Taourirt sera bientôt doté d’un centre polyvalent destiné aux femmes du village, édifié sur 400 m2, au sommet de la colline en cours de reboisement. «A présent que les femmes sont déchargées d’une grosse partie de leurs corvées habituelles de l’époque où le village était régulièrement inondé, elles ont davantage de temps pour elles. D’où l’utilité de ce centre ! » : alphabétisation, initiation et formation à la couture et à la tapisserie, Hassan Edderjoun énumère avec fierté les prestations du futur centre polyvalent de Taourirt et précise que son architecture sera absolument conforme au style de la région : «A force de permettre à chacun de construire sa maison à son goût, nos villages perdent progressivement leur âme authentique».
Un souci d’authenticité qui n’exclut toutefois pas, chez les responsables de l’Association Tiwizi, une démarche volontaire d’ouverture sur le monde et d’éveil à la culture : le bâtiment de la Mosquée abrite une salle consacrée à l’alphabétisation, à l’enseignement de l’anglais et aux activités de Tagmat (Les Frères), la troupe de théâtre du village. Seul point noir dans ce tableau quasi idyllique, le fait que l’administration communale se soit déclarée incapable d’assurer la collecte des ordures produites par le douar… Mais pour Hassan Edderjoun, «ca n’est là qu’un défi de plus à relever au nom de la citoyenneté et de la dignité».
Devant la porte de ce mini centre culturel, Hassan a rendez-vous avec son ami Brahim Chokri. M. Chokri est agriculteur mais il est surtout connu en sa qualité de président de l’Association Marigha pour le développement du douar du même nom, à une douzaine de kilomètres d’Asni.
Connaissez-vous Marigha, sa douceur de vivre et ses oliviers ? Village natal de M. Ahmed Tawfiq, actuel ministre des Affaires islamiques, Marigha pourrait ressembler au paradis si ses habitants n’avaient pas progressivement pris conscience de l’urgence de se prendre en charge pour un mieux-vivre collectif.
Brahim Chokri commence par souligner «que le potentiel agricole de cette impressionnante oliveraie de 40 000 pieds est relativement sous exploité. Mais grâce à l’ADS et à un financement MEDA, Marigha vient de se doter d’une station de pompage et de distribution à deux châteaux d’eau, destinée aux usages domestique et agricole et qu’un vent de développement souffle désormais sur le village. En témoigne également cette «Maison de l’étudiante, une réalisation de l’association Marigha et qui se dresse fièrement à la sortie d’Asni.
C’est véritablement une ère nouvelle qui s’ouvre pour les 300 familles que compte le douar de Marigha. A la dynamique de développement rural s’ajoute d’ailleurs un renforcement de l’infrastructure touristique de la région, que les marighais sont bien obligés de prendre en compte.
Ça n’est d’ailleurs pas sans une certaine réserve que Brahim Chokri et ses collègues de l’association voient s’effectuer l’ouverture du village au monde extérieur : «Nous avons instauré une amende de 100 Dh pour tout parent d’enfant pris à mendier auprès des touristes. Il est vital de faire comprendre aux gens que cela est inacceptable ! En revanche, nous avons engagé un ambitieux programme d’alphabétisation, base incontournable de toute action sérieuse de développement social».
Pour autant, Brahim Chokri ne perd pas de vue les limites de l’action associative en la matière. Notamment le fait que l’administration communale ait de plus en plus tendance à se décharger sur l’association de la plupart de ses responsabilités. Sans compter les suspicions d’ambitions politiques, que M. Chokri réfute paisiblement : «Si j’avais voulu faire de la politique, j’aurais accepté les offres que me font régulièrement, à la veille de chaque élection, les barons de différents partis. Il se trouve que mon père avant moi s’était engagé au service de sa communauté. Je me contente de suivre sa voie». Demeurant entendu, conclut en substance le président de Marigha, que la plus belle association du monde ne peut donner que ce qu’elle a : «Ce que nous souhaitons, explique M. Chokri, c’est que le partenariat ainsi établi entre la Région, l’Etat et nous soit rendu plus équitable en notre faveur. Y’aurait-il enfin moyen de faire entendre cela?»